Déneigement, bruit, circulation, le maire du Plateau-Mont-Royal, Luc Ferrandez, a le don de soulever des controverses. Aujourd'hui, il s'attaque à la propreté. Il a aussi d'autres projets dans ses cartons: une phase deux pour l'apaisement de la circulation et un lifting pour la rue Rachel. Notre journaliste Michèle Ouimet l'a rencontré. Entrevue avec un maire pas comme les autres.

Après le déneigement, la circulation et le bruit, le maire du Plateau-Mont-Royal, Luc Ferrandez, s'attaque à la propreté.

Mais comme dans tout arrondissement - pour ne pas dire arrondistan - qui se respecte, l'affaire n'est pas simple.

Normalement, les cols bleus devraient ramasser les papiers qui traînent dans les rues, mais «ils n'aiment pas ça, parce que ça leur fait mal au dos», a expliqué le maire. S'il insiste, ils se défilent en prenant un congé de maladie, car «c'est fatigant de se pencher 600 fois par jour pour ramasser des papiers».

Le maire a donc conclu une entente avec ses cols bleus. Ils ne ramasseront pas les papiers gras, bouteilles vides, seringues et autres cochonneries qui jonchent les rues résidentielles du Plateau, du moins pendant cinq mois, de mai à septembre. Il a confié cette tâche à six personnes qu'il a dénichées à la Maison du Père et à l'Accueil Bonneau. Des itinérants.

Pour faire accepter la chose à ses cols bleus, il a dû signer une lettre d'entente avec le grand patron du syndicat, Michel Parent. Le président. Lui-même en personne. L'arrondissement va lui verser 600$ en cotisations syndicales.

Le maire paie donc les cols bleus pour qu'ils ne ramassent pas les papiers qu'ils devraient pourtant ramasser. Le contribuable du Plateau paie en double: une première fois pour la «brigade de la propreté» et une deuxième pour les cols bleus. Coût de l'opération: 60 000$.

Luc Ferrandez plaide l'impuissance. Il est incapable de faire nettoyer les rues et il veut un arrondissement propre. Au lieu de partir en guerre contre ses cols bleus, il a utilisé une méthode un peu ratoureuse. Mais ça marche, dit-il.

Le président du syndicat des cols bleus, Michel Parent, a une autre version. Les cols bleus ne ramassent plus de papiers à la main depuis belle lurette, a-t-il expliqué. Ils travaillent avec des triporteurs armés d'une balayeuse.

«Et tous ceux qui font ce travail [ramasser les papiers à la main] nous versent des cotisations syndicales», a-t-il précisé.

Il y en aurait 120 à Montréal.

Sa conclusion: Ferrandez n'a rien inventé.

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Luc Ferrandez ne veut pas parler du conflit étudiant. Surtout pas. «J'essaie de ne pas m'exposer parce que j'attire l'opinion publique, dit-il. Des gens vont se mettre à haïr le mouvement étudiant parce que je l'aime ou vice versa.»

Le maire essaie donc de se tenir loin du débat, mais dès le début de l'entrevue, il craque, c'est plus fort que lui. Et il craque même si son attachée de presse le surveille et lui donne quasiment des coups de pied sous la table.

«C'est plus qu'une grève d'étudiants, c'est un mouvement social», dit-il.

Il blâme le gouvernement qui refuse de négocier, sans oublier la loi spéciale (78), «comme si la seule stratégie, c'était le contrôle et que la police allait régler le problème. Pfft! Farceur!

- Farceur? Qui?

- Charest.»

Non, il n'est pas sorti dans la rue avec une casserole parce qu'il travaille tard le soir.

Cheveux en bataille, tenue décontractée, le maire Ferrandez est toujours aussi passionné, aussi peu politically correct, aussi peu langue de bois. Il échappe de temps en temps un «tabarnacle» bien senti, suivi d'un «criss» ou deux.

Sa barbe a grisonné. Ses nuits sont plus courtes depuis qu'un bébé de 10 mois chamboule sa vie. Et il n'a pas de cellulaire. «Trop de monde m'appelait», explique-t-il. Il a un Blackberry à la maison. Il le consulte rapidement le dimanche soir pour regarder son agenda. C'est tout.

Il planche sur un gros dossier: la circulation. Il essaie de corriger les effets pervers de la phase un de son projet «apaisement». Il en a bavé avec sa phase un. Il a changé deux sens uniques, Laurier et Christophe-Colomb, et créé une piste cyclable large comme un boulevard. Il a failli se faire trucider. Un résidant frustré lui a postillonné sa rage à deux pouces du visage.

Il travaille sur la phase deux qui doit corriger les effets pervers de la phase un. «On a généré des problèmes, reconnaît-il. Ils sont dérangeants, ils contredisent nos promesses, mais ils ne sont pas dramatiques.»

Échaudé par la controverse monstre soulevée par la phase un, il joue de prudence. Sa phase deux devait débuter au printemps, mais il l'a reportée à l'automne, car son plan n'est pas mûr.

Il ne veut pas répéter les mêmes erreurs: il a élaboré des scénarios, parlé à la Ville centre et étudié minutieusement le débit des autos dans les rues qui seront touchées (Chambord, Garnier, Fabre, Marquette et Mentana où le trafic a augmenté de 50% à la suite de l'implantation de la phase un). Et surtout, surtout, il a consulté.

Le maire a beaucoup de projets dans ses cartons, mais il manque d'argent et de temps, il ne reste que 17 mois avant les élections. Sa fierté? La rue Rachel qui va subir une profonde transformation, de Boyer à Saint-Urbain: un large terre-plein, une piste cyclable plus sécuritaire, un trottoir élargi et des arbres, beaucoup d'arbres. Mais il élimine le stationnement sur un côté de la rue. Les «pépines» commencent à creuser aujourd'hui.

Et les commerçants qui adorent le détester? Il les a consultés.

«On a deux personnes qui ont fait le tour des commerçants pour les préparer aux changements, raconte Ferrandez. Il y en a un qui a dit: «J'ai une batte de baseball. Si Ferrandez vient, c'est pour lui! «»

Un agent de voyage portugais fulmine chaque fois qu'il entend le nom du maire. «Sa business ne va pas bien, explique Ferrandez. Agent de voyage! Tout le monde achète ses billets en ligne. Mais il est sûr, sûr, sûr que c'est de ma faute.»

La rage du commerçant? Elle existe, Ferrandez le reconnaît. Il fait son mea-culpa. «J'ai réussi, par un truc qui lie sans doute l'inexpérience et le je-m'en-foutisme, à être responsable des problèmes qui font chier tout le monde, comme la circulation et la température. Mais ça change. Il y a beaucoup de gens qui se sont calmés. Un restaurateur a déjà mis une affiche devant son resto: «Ouvert malgré le maire». Aujourd'hui, il l'a enlevée et il me sourit.»

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Il se veut se représenter. À ma question: pensez-vous avoir des chances d'être réélu, il répond candidement: «Je ne sais pas, c'est 50-50.» N'importe quel politicien aurait brodé une réponse qui lui fait une belle jambe. Pas Ferrandez.

Avec lui, c'est la vérité sans fard, une vérité qui n'est pas arrangée par le gars des vues ou une attachée de presse.

Ferrandez est un électron libre qui sème souvent la controverse. Il admet qu'il «créait un chaos médiatique» chaque fois qu'il ouvrait la bouche, mais il jure qu'il s'est assagi.

«Quand je parlais du déneigement, du stationnement ou du bruit, ça créait un chaos et ensuite, je passais un mois à dire: Non, non, non, c'est pas ça que je voulais dire, mais plutôt ça!»

Après le déneigement, la circulation, le bruit et la propreté, sa réélection. Un autre défi. Avec ou sans controverse?

Pour joindre notre journaliste: michele.ouimet@lapresse.ca