Des médecins sonnent l'alarme: il y a trop d'accidents de vélo à Montréal. Depuis 2004, leur nombre oscille entre 700 et 800. Entre 2007 et 2008, le nombre de blessés graves a augmenté de 22%. Cette année, déjà trois personnes ont perdu la vie à bicyclette à Montréal. La cohabitation semble de plus en plus difficile pour les automobilistes et les cyclistes, qui se blâment les uns et les autres.

Simon Dubois ne se sera jamais rendu au travail, le 19 août 2008. L'avocat roulait sur la toute nouvelle voie cyclable de la rue Saint-Urbain. À l'intersection de la rue Sherbrooke, il est passé sur le feu vert à une bonne vitesse.

 

Avec la côte qui descend abruptement jusqu'au boulevard De Maisonneuve, il ne voyait pas l'imposant camion immobile au beau milieu de la bande cyclable. Son conducteur, un peu perdu, hésitait à entrer dans l'édifice de l'UQAM. «Je ne pouvais pas l'éviter, raconte Simon Dubois. D'après des témoignages, mon corps a été projeté à l'intérieur. Mon visage était ensanglanté et mon oeil défoncé par la vitre.»

Le jeune homme a été conduit à l'hôpital en ambulance. Il a subi une fracture cervicale. Plus d'un an plus tard, l'avocat de 35 ans ne peut toujours pas travailler. Il a déjà subi trois chirurgies ophtalmiques et deux autres suivront sous peu. «Je suis encore indemnisé par la SAAQ et aveugle de l'oeil droit, dit aujourd'hui le père d'un enfant né deux jours après son accident. À la clinique de relance de l'Hôtel-Dieu, la médecin m'a dit qu'elle avait beaucoup de cas d'accidents de vélo, dont plusieurs qui surviennent à côté de l'hôpital, sur la bande cyclable de Saint-Urbain.»

Le Dr Faramarze Dehnade, chef du Service d'orthopédie du CHUM, confirme cette tendance. «Cette piste est dangereuse, indique le médecin. Elle n'est pas délimitée. Il n'y a pas de balises.»

Dans la rue Saint-Urbain, seule une simple ligne peinte au sol sépare la voie cyclable de la voie de circulation. Il y a un mois, même les chauffeurs d'autobus de la Société de transport de Montréal (STM) ont déposé une pétition pour se plaindre de la voie cyclable, qui, selon eux, est «extrêmement dangereuse».

Mais pour André Lavallée, responsable des transports en commun au comité exécutif à la Ville de Montréal, c'est plus sécuritaire que c'était. «Maintenant, les cyclistes sont beaucoup plus visibles sur Saint-Urbain», dit-il.

«Les villes nord-américaines ont été construites pour les autos et les piétons, rappelle André Durocher, inspecteur en sécurité routière au Service de police de Montréal (SPVM). Les piétons ont les trottoirs et les automobilistes ont la chaussée. Quand on tente d'inclure les cyclistes, bien la chaussée devient moins grande pour les automobilistes.»

«Il y a beaucoup de gens qui ont décidé d'aller travailler ou étudier en vélo. C'est une nouvelle dimension», ajoute André Lavallée, qui rappelle que la Ville aura ajouté au printemps prochain 160 km de pistes et de bandes cyclables en deux ans.

Plus d'accidents

Depuis cinq ans, le nombre d'accidents de vélo signalés au SPVM est relativement stable (environ 800 par année, voir le tableau ci-contre). Mais selon le Dr Dehnade, «il y a eu beaucoup d'accidents de vélo cet été». Son service accueille chaque semaine environ cinq blessés. Des fractures du poignet, de la clavicule, mais aussi quelques fractures de la hanche. «Dans 80% des accidents, ce sont des traumatismes orthopédiques», indique-t-il.

Les cas les plus graves - les traumatismes crâniens - aboutissent plutôt à l'hôpital du Sacré-Coeur ou à Sainte-Justine (voir autre texte).

«Il y a une augmentation des cas en général. Depuis quelques années, on le voit», dit le Dr Dehnade.

Le médecin dénonce le comportement des cyclistes. «Ils ont une sorte d'immunité totale. Ils font ce qu'ils veulent comme s'ils avaient tous les droits. Pourtant, ce sont eux qui sont le moins protégés. Il faut qu'ils respectent le Code de la sécurité routière.»

Certains cyclistes prennent toutefois toutes les précautions nécessaires pour ne pas se blesser. Le vélo et le casque de Cristine Lamoureux sont parés de réflecteurs et de lumières. Quand elle a eu un accident de vélo la semaine dernière, la policière lui a lancé: «Ce n'est pas parce que vous n'êtes pas visible, madame.»

La femme de 43 ans parcourt environ 4000 km chaque année à vélo. Si c'est une passion depuis longtemps, elle a décidé l'automne dernier de troquer sa voiture contre la bicyclette pour se rendre au travail et en revenir, de la ville de Mont-Royal au centre-ville. Mais déjà, elle a eu deux accidents.

Il y a deux semaines, un homme l'a heurtée en faisant un virage rapide sur l'avenue du Parc. «Le gars a vu à la dernière minute qu'il y avait une place de stationnement et il m'est rentré dedans, raconte-t-elle. J'ai roulé sur le capot.»

Le chauffeur a pris la fuite alors que Mme Lamoureux était au téléphone avec des policiers, entourée de témoins. Si des caméras de sécurité ont filmé la scène, les policiers n'ont toujours pas rappelé Mme Lamoureux depuis son accident.

En attendant, Mme Lamoureux ne sait pas quoi faire pour réduire les risques d'avoir un accident. «Ce n'est pas parce que je ne suis pas prudente», dit-elle.

Conclusion? «Les automobilistes blâment les cyclistes et les cyclistes blâment les automobilistes», dit le policier André Durocher.

«Depuis 20 ans, la cohabitation a toujours été difficile. Il n'y a pas de solution miracle. C'est une question de courtoisie, dit pour sa part Jacqueline Laliberté, conseillère en sécurité à la SAAQ. Plus le cycliste est présent, plus l'automobiliste doit composer avec lui.»

«Il faut agir au niveau de la sécurité, mais il faut aussi un changement de mentalité aussi important que pour l'alcool au volant», renchérit André Lavallée.

 

En chiffres

> Bilan routier des cyclistes montréalais en 2008:

- 2 morts

- 33 blessés graves

- 663 blessés légers

> En 2009, en date de la fin août:

- 3 morts

- 28 blessés graves

- 467 blessés légers

> Entre 2004 et 2008, 17 cyclistes sont morts et 203 ont été grièvement blessés. Pour ce qui est des blessés graves, on a noté une hausse de 22% des incidents entre 2007 et 2008, tandis que le nombre de décès est passé de quatre à deux durant cette période. Les statistiques pour l'année 2009 concernent la période comprise entre janvier et la mi-août.

Source: SPVM

> Selon Vélo Québec, les déplacements à vélo des Montréalais sont passés de 1% à 1,6% entre 1996 et 2006.

> En 2005, le Québec comptait environ 3,6 millions de cyclistes.

> Depuis 2003, quelque 2500 cyclistes sont victimes de la route au Québec chaque année. Selon une estimation du niveau de risque associé aux cyclistes pour l'année 2008, le taux de victimes par 100 000 cyclistes est environ deux fois plus élevé chez les jeunes âgés de 15 ans ou moins que chez les adultes de 25 ans ou plus.

> Les blessures à la tête demeurent la première cause de décès chez les cyclistes. Elles sont les plus graves et causent 60% des décès et 30% des blessures graves chez ces derniers.

> Environ 85% des accidents se produisent en milieu résidentiel ou commercial, principalement dans les zones de 50 km/h ou moins.

> En général, les accidents sont plus fréquents entre midi et 20h.

> La négligence du cycliste ou l'inattention (du conducteur ou du cycliste) représentent la première cause des accidents mortels.

Source: SAAQ