Les événements de Montréal-Nord ont poussé le Service de police de la ville de Montréal à apporter des «changements majeurs» au fonctionnement d'Éclipse, la brigade de lutte contre les gangs de rue, créée en grande pompe il y a tout juste un an. Neuf mois après la mort de Fredy Villanueva, la direction du SPVM admet ainsi que les interventions d'Éclipse ont contribué à durcir les relations entre la population du quartier et le service de police en général.

«Il y a eu des changements majeurs au niveau d'Éclipse», a expliqué Jean-Guy Gagnon, directeur adjoint à la direction stratégique du SPVM, dans une longue entrevue à La Presse, où il a dévoilé le plan d'action du SPVM à la suite des événements de l'été dernier. «Je n'ai pas eu de plaintes contre les gars d'Éclipse. Mais je réalise qu'il y a quelque chose, dit-il. Il y a eu beaucoup de critiques.»

Le problème concerne-t-il simplement les perceptions? «Il y avait des choses à changer», répond M. Gagnon.

Avant le 10 août, les policiers d'Éclipse avaient une autonomie totale. Ils pouvaient décider, de leur propre chef, d'intervenir dans un quartier. «La première chose qu'on a changé, c'est la coordination avec le niveau local. Maintenant, quand ils interviennent, ils doivent le faire en partenariat. Parce que le policier local, lui, il les connaît, les gens de son secteur.»

Dix «quartiers chauds»

D'ici quelques semaines, les policiers de la brigade, qui interviennent à l'échelle de l'île de Montréal, seront également mieux outillés en matière de renseignement. Les photos, les descriptions et les renseignements à propos des «sujets cibles» seront beaucoup plus précis.

Comment? Le SPVM a identifié 10 secteurs chauds dans l'île, où on retrouve les caractéristiques sociodémographiques qui ont transformé Montréal-Nord en poudrière. «Ces secteurs, ce n'est pas nécessairement un arrondissement au complet, précise M. Gagnon, ça peut être deux rues par deux rues. Mais ce sont tous des secteurs où, selon la recherche, les conditions peuvent favoriser l'adhésion aux gangs de rue.»

Jean-Guy Gagnon refuse de nommer ces secteurs pour éviter de les «stigmatiser».

Dans chacun de ces points chauds, deux nouveaux policiers seront embauchés et travailleront en collaboration. L'agent de concertation (voir autre texte) sera chargé des relations avec les communautés. Quant à l'autre agent, il aura pour mission de réaliser des «analyses» qui seront notamment destinées aux policiers d'Éclipse. «Il faut plus d'analyse, plus de renseignements sur les tensions dans un quartier, sur les relations qu'il peut y avoir entre certains groupes», explique Jean-Guy Gagnon.

«Notre objectif, poursuit-il, ce serait que, chaque fois qu'Éclipse intervient, ce soit clairement à l'endroit d'un membre de gang de rue ou d'une personne en relation avec les gangs de rue. Mais ce n'est pas facile. Ce n'est pas écrit dans le front des gens. Il faut donc voir comment on peut renforcer les façons de faire d'Éclipse.»

Jean-Guy Gagnon espère que ces changements mettront fin aux critiques virulentes dont Éclipse a été l'objet depuis sa formation. Car la brigade demeure essentielle à la lutte contre les gangs, dit-il. Les meurtres et tentatives de meurtre liés aux gangs de rue sont en chute libre à Montréal. «L'idée, ce n'est pas de remettre en question le projet Éclipse. On doit maintenir nos efforts dans la lutte contre les gangs de rue. Mais il faut amener Éclipse encore plus loin, au niveau de ce que les citoyens veulent avoir.»

Montréal-Nord, la poudrière

Le plan d'action du SPVM s'étend donc à l'ensemble de l'île, mais, évidemment, tout part de Montréal-Nord. Et le travail qui reste à faire dans ce quartier est immense pour la police, admet sans peine M. Gagnon. «Il faut qu'on parle directement avec les jeunes, les parents, les directeurs d'école pour être plus à l'affût de ce qui se passe vraiment sur le terrain. On n'est pas au même niveau que ce qu'on a, par exemple, dans le quartier Saint-Michel ou Rivières-des-Prairies, où les problématiques sont semblables.»

Depuis août dernier, le SPVM a multiplié les rencontres avec les groupes et les jeunes de Montréal-Nord. «Les plaintes qu'on a souvent, c'est que les deux policiers patrouillent la rue, ils se parlent entre eux, mais ils ont un peu de difficulté à entrer en contact avec les citoyens.» Les jeunes policiers manquent souvent de ces aptitudes de communication, observe le numéro 2 du SPVM. «Les jeunes nous disent qu'avec les policiers plus âgés, généralement, ça va très bien.»

Le soir du 9 août, la veille de l'émeute qui a embrasé Montréal-Nord, Jean-Guy Gagnon s'est lui-même rendu sur place pour prendre le pouls du quartier. «Je sentais qu'il y avait quelque chose dans l'air. Ce soir-là, on a tenté de multiplier les contacts avec les gens de la communauté. Mais dans ce secteur-là, on a n'a pas réussi à avoir un filet social où il y a des intervenants qui peuvent être facilement interpellés, dit-il. On a essayé auprès de maintes personnes d'avoir un leader qui puisse intervenir auprès de la communauté. Malheureusement, on n'a pas pu trouver cette personne-là.»

Du profilage racial

Et les accusations de profilage racial, qui ont empoisonné les relations entre la population et la police, sont-elles justifiées? «Il semble effectivement qu'il y avait parfois du profilage racial dans les interpellations, pas dans le sens d'arrestations non justifiées. On a eu des plaintes de jeunes. Certains n'avaient rien à se reprocher, dit-il. Mais jusqu'à présent, on n'a pas de dossier majeur, flagrant, d'une personne qui aurait abusé de son autorité pour procéder à de mauvaises arrestations.»

À l'interne, les événements d'août dernier ont administré un véritable électrochoc aux forces de police de Montréal. Rappelons qu'une policière a été prise pour cible lors de l'émeute du 10 août.

«C'est une première au Québec», dit M. Gagnon. Partout à Montréal, les postes de quartier seront donc davantage sécurisés. On installera des caméras, on posera des serrures supplémentaires.

Les policiers auront aussi une formation spécifique pour faire face au phénomène de l'encerclement, où des jeunes d'un quartier donné se massent, en groupe, autour des deux policiers en patrouille.