L'entreprise Construction Frank Catania et associés avait interrompu ses travaux de construction dans le Faubourg Contrecoeur un peu avant Noël, en raison d'un litige avec la Société d'habitation et de développement de Montréal (SHDM) et la Ville de Montréal. Cette information, connue par les voisins du chantier, était ignorée par la majorité des Montréalais jusqu'à ce qu'éclate l'incendie, hier matin.

Mais ni le président du Groupe immobilier Catania, André Fortin, ni la porte-parole de la SHDM, Stéphanie Gareau, n'ont voulu dire sur quoi porte le litige. L'un et l'autre se contentent de souligner la controverse qui entoure ce projet privé de 1800 condos, soutenu à coup de millions de dollars par la SHDM et la Ville.

 

Pourquoi les travaux étaient-ils interrompus? «Me prenez-vous pour une personne stupide? Vous connaissez la réponse. Je préfère répondre à d'autres journalistes qu'à vous», a répondu M. Fortin, avant de raccrocher. (Construction Frank Catania et associés, ainsi que son fondateur Frank Catania, ont déposé une poursuite de 18 millions de dollars contre La Presse pour nos reportages sur le Faubourg Contrecoeur.)

«Je ne ferai aucun commentaire sur ce sujet, a déclaré de son côté Mme Gareau, porte-parole de la SHDM. C'est un dossier complexe. Il y a un litige, des discussions étaient en cours et c'est pour ça que les travaux étaient suspendus.»

À la fin du mois de février, le président du comité exécutif de la Ville de Montréal, Claude Dauphin, a confirmé que Construction Frank Catania et associés avait envoyé une mise en demeure à la SHDM l'enjoignant de lui payer la somme de sept millions de dollars. La SHDM est un organisme privé à but non lucratif dirigé par un conseil d'administration nommé par le comité exécutif de la Ville. Elle a un mandat de gestion et de développement immobilier.

Talonné de questions par les conseillers de l'opposition, M. Dauphin avait indiqué qu'aucune suite ne serait donnée à cette réclamation de sept millions de dollars tant que les rapports de vérification en cours ne seraient pas terminés. Mais lui non plus n'avait pas confié sur quoi, précisément, portait cette réclamation.

À la suite d'une enquête de La Presse, l'automne dernier, le maire de Montréal, Gérald Tremblay, a demandé au vérificateur général de la Ville de se pencher sur les transactions de la SHDM et plus particulièrement sur le projet du Faubourg Contrecoeur. À la même période, le conseil d'administration de la SHDM a demandé au cabinet d'audit et de conseil Deloitte&Touche d'analyser en particulier le dossier du Faubourg Contrecoeur.

À court de personnel et de budget, le vérificateur a laissé tout ce pan de l'enquête à Deloitte&Touche, dont le rapport est presque terminé. Le cabinet d'audit doit le présenter cette semaine ou dans deux semaines aux dirigeants de la SHDM pour recueillir leurs commentaires. Une fois cela fait, le rapport sera transmis au conseil d'administration de la SHDM, qui en remettra une copie au vérificateur général, qui l'intégrera à son rapport final.

Selon nos informations, un rapport préalable aurait commencé à circuler. En ce qui concerne le projet du Faubourg Contrecoeur, la question est la suivante: la SHDM et la Ville de Montréal ont-ils accordé des avantages indus au promoteur Frank Catania? La réponse à cette question aura une influence sur la décision d'approuver ou non la nouvelle réclamation de sept millions de dollars.

Controverse

Le projet du Faubourg Contrecoeur est né dans la controverse. La Ville de Montréal était propriétaire de ce vaste terrain de 38 hectares, situé en bordure de la carrière Lafarge, rue Sherbrooke, à l'est de l'autoroute 25. Dès 2004, elle a donné un mandat de mise en valeur du terrain à la SHDM et à la Société de développement de Montréal, alors deux sociétés paramunicipales.

La SHDM a octroyé le mandat de réalisation du plan à la firme d'urbanisme Gauthier, Biancamano, Bolduc, une filiale du groupe Dessau. En 2006, elle a lancé un appel d'offres public visant à retenir les services d'une entreprise apte à décontaminer le sol, à construire des infrastructures et des immeubles et à faire la mise en marché des logements.

Deux entreprises se sont qualifiées: Construction Frank Catania et Construction Marton, de l'homme d'affaires Tony Accurso. À la même période, les mêmes promoteurs faisaient partie de consortiums rivaux qui répondaient à un appel d'offres de la Ville de Montréal pour installer des compteurs d'eau. Catania a remporté le contrat du Faubourg Contrecoeur, et le consortium formé par Simard-Beaudry et la firme Dessau a obtenu le contrat des compteurs d'eau.

Le terrain du Faubourg Contrecoeur avait une valeur de 31 millions de dollars au rôle d'évaluation municipal. Un expert privé avait estimé sa valeur marchande à 19 millions. C'est à ce prix que le terrain a été vendu à Catania, par l'entremise de la SHDM. Mais cette dernière a soustrait 11 millions du prix de vente pour la décontamination et 3,6 millions pour d'autres frais, si bien que le prix final est tombé à 4,4 millions, à payer au plus tard le 30 juin 2010.

Une analyse réalisée par La Presse a estimé que les véritables coûts de décontamination ont plutôt été de six à sept millions de dollars. Notre enquête a aussi soulevé des doutes sur les autres frais. Ce sont des chiffres sur lesquels devaient se pencher les vérificateurs de Deloitte&Touche.

La SHDM, alors dirigée par Martial Fillion, qui a été suspendu de ses fonctions l'automne dernier, a aussi consenti ce qui suit:

- Une aide financière de 15,8 millions pour construire les infrastructures (égouts, rues, etc.);

- Un prêt de 14,6 millions pour la décontamination;

- Une garantie de rachat des condos invendus jusqu'à hauteur de 41 millions de dollars, tel que prévu dans le programme Accès-Condos.

Dans sa poursuite contre La Presse, Frank Catania affirme que ces clauses ne constituent en rien des avantages. Ainsi, le programme Accès-Condos créé par la SHDM prévoit que cette société rachète les condos construits par tous ses partenaires promoteurs s'ils ne sont pas vendus au bout d'un an et demi.

Cette disposition est toutefois dénoncée par l'Association provinciale des constructeurs d'habitations du Québec (APCHQ), qui y voit une concurrence déloyale pour la grande majorité des entrepreneurs de Montréal, qui ne sont pas des partenaires de la SHDM, et qui n'ont donc pas la garantie de se faire racheter leurs condos invendus par des fonds publics.