Daniel Legros a perdu deux clients sur quatre à la fin du mois dernier. Les dossiers de crédit de ses clients étaient passables, mais les prêts hypothécaires ont été refusés à cause des cartes de crédit ayant atteint leur limite.

En affaires depuis 30 ans, à la tête du Groupe DSL, très actif sur la Rive-Sud, notamment à Beloeil, Daniel Legros estime qu'il perd présentement la moitié de ses ventes au détail. Et que son chiffre d'affaires va chuter de 40% cette année. L'entrepreneur en est rendu à offrir gratuitement des planchers en bois franc et l'air climatisé. Il rachète aussi les fins de bail aux locataires désireux de devenir propriétaires.

 

«Il faut se démarquer, dit-il. Il n'y a pas de demande pour les maisons unifamiliales de plus de 200 000$. Le marché demeure quand même stable pour les semi-détachés de 200 000$ et moins. Mais comme il y a une rareté des terrains à Longueuil, et qu'ils se vendent jusqu'à 25$ le pied, on fait à peine 6 ou 7% de profits sur nos ventes, comparativement à 14 ou 15% dans le passé.»

Dans la grande région de Montréal, un repli majeur a été enregistré dans le secteur résidentiel, au cours des trois derniers mois, selon les dernières données de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL), dévoilées hier. Étonnamment, la Rive-Sud s'en sort quand même bien, avec une légère remontée en mars. Mais l'île de Montréal enregistre une baisse de 59% pour les trois premiers mois de l'année par rapport à 2008. La ville de Laval contraste avec les autres avec une hausse de 13% pour le premier trimestre, avec 832 mises en chantier résidentielles.

Bertrand Recher, analyste principal à la SCHL, explique qu'il y a eu 22 927 mises en chantier en 2008, et que ce chiffre oscillera autour de 18 900, en 2009, selon les prévisions. «Ce sera la première fois qu'on passera sous la barre des 20 000 mises en chantier en sept ans, ajoute M. Recher. On appréhende une baisse globale de 15% cette année pour la région métropolitaine.»

Dans le milieu de la construction, on hésite à parler de la chute des mises en chantier. On ne veut pas «décourager le marché», explique-t-on. Et la plupart des entrepreneurs interrogés s'empressent de rappeler qu'on a connu des sommets inégalés dans les dernières années. Ils sont aussi d'avis que nous ne vivrons pas la catastrophe immobilière qui affecte présentement l'ouest du pays avec des chantiers résidentiels carrément abandonnés. Et des maisons vendues à perte.

N'empêche qu'à la Ville de Montréal, les experts ont le résidentiel à l'oeil. On a aussi établi une vigie pour surveiller 130 grands chantiers commerciaux ou institutionnels. Il y a quelques semaines, l'équipe du maire Gérald Tremblay annonçait à contrecoeur que le gigantesque projet Griffintown, de Devimco, évalué à 1,3 milliard, était revu de la baisse. Avec une première tranche de 300 millions investis en 2010.

Jean Savard, conseiller du Groupe d'intervention stratégique et tactique Montréal 2025, constate que les projets déjà enclenchés, dont le financement est assuré, continuent d'aller de l'avant, mais que plusieurs sont décalés. Retardés.

Au centre-ville, le projet de conversion de l'ancienne gare Viger, dont le début des travaux était prévu cet été, ne sortira pas de terre avant fin 2010. Sur le site internet du groupe Viger DMC International, il n'y a pas eu d'activité depuis juin 2008. Des sources bien placées vont même jusqu'à dire qu'un partenaire de Halifax, Humberg, s'est retiré du projet.

Cameron Charlebois, directeur général de Viger, a décliné une demande d'entrevue pour parler de l'évolution de son projet ou de l'impact de la crise économique sur ses affaires. Isabelle Thellen, de la firme Casacom, qui s'occupe de ses relations avec les médias, a dit qu'une planification «dynamique» suivait son cours, et a démenti l'information selon laquelle un partenaire s'était retiré. Le partenaire Humberg n'a pas rappelé La Presse.

Selon des informations obtenues auprès de l'arrondissement de Ville-Marie, d'autres projets font du surplace, comme celui de la corporation SIDEV, prévu sur les terrains de l'ancien Spectrum, dont les plans se font toujours attendre. En contrepartie, le projet d'hôtel de SIDEV, à la place de l'ancien restaurant Ben's, dont La Presse a dévoilé les grandes lignes hier, est sur le point de sortir de terre.

À la mi-mars, les élus de l'exécutif du maire Tremblay ont par ailleurs dû renoncer à un acte de vente avec un propriétaire américain, SZR Sherbrooke Street, pour un important projet de complexe résidentiel dans Notre-Dame-de-Grâce-Côte-des-Neiges. L'action, qui oscillait entre 20 et 50$ depuis cinq ans, a chuté à 1,50$.

Afin d'augmenter les ventes résidentielles, la Ville, en collaboration avec des partenaires privés, a lancé le site www.visiteslibresamontreal.com, où il est possible d'obtenir la liste de 60 projets en cours de réalisation à Montréal, de même que les plus bas prix offerts. Le Sud-Ouest se démarque avec des prix compétitifs, particulièrement avec des condominiums offerts à partir de 100 000$, garage inclus, et subvention jusqu'à 10 000$.

Dans un tel contexte, l'entrepreneur Daniel Legros, de Longueuil, ajoute que ce sont les gens d'affaires qui ont de l'argent liquide qui vont survivre. «Il ne faut plus compter sur les banques pour allonger des piastres.»

«J'ai dû investir un million de ma poche juste pour le fond de terrain sur l'un de mes lots, dit-il. Et rien n'est encore bâti ou vendu. C'est vrai qu'on a eu de bonnes années, peut-être même à l'excès, diront certains, mais en ce moment, c'est le contraire. On ne va pas se plaindre, mais il n'en demeure pas moins qu'on n'a pas droit à des subventions, nous.»

 

Les chantiers montréalais

Les 130 projets inscrits au plan de match de la Ville de Montréal (2025) représentent à terme des investissements privés et publics de 76 milliards de dollars.

> Les 54 projets résidentiels en cours de réalisation ou de planification représentent des investissements de quelque 10 milliards.

Source: Ville de Montréal, (Montréal 2025)