L'escouade Éclipse, spécialisée dans la lutte aux gangs de rue, pourrait avoir contribué au durcissement des relations entre les citoyens de Montréal-Nord et les policiers, estime un groupe d'éminents criminologues, qui recommande au Service de police de Montréal d'étudier les effets «du conflit de styles» entre la police communautaire et les agents d'Éclipse.

La brigade «pourrait avoir été à l'origine d'une exacerbation d'un sentiment de harcèlement de la part des forces de l'ordre», écrivent les criminologues Jean-Paul Brodeur, Valérie Sagant, Frédéric Ocqueteau et Massimiliano Mulone, dans un rapport qui compare divers épisodes de violence urbaine survenus au Québec, en France, en Angleterre et aux États-Unis. Le rapport a été réalisé pour le SPVM.

En entrevue, Jean-Paul Brodeur, de l'Université de Montréal, et sa collègue Valérie Sagant, du Centre international de prévention de la criminalité, refusent de condamner Éclipse, puisque les criminologues n'ont pas effectué d'étude de terrain avec l'escouade.

«On ne peut pas se prononcer sur Éclipse. Mais on a montré que ce genre de brigade, qui agit dans l'urgence, très spécialisée, qui vise à augmenter le nombre d'arrestations, ça aggrave en général les tensions», dit Valérie Sagant.

C'est que la philosophie d'intervention des agents des postes de quartier, axée sur la proximité avec le citoyen, entre en collision directe avec les opérations d'Éclipse.»Il y a un conflit des styles entre Éclipse et la police de quartier. Et ça crée une confusion chez les policiers et chez les citoyens», souligne M. Brodeur.

Les quatre criminologues invitent le SPVM à se demander si ce conflit de styles «n'est pas un facteur de durcissement du climat».

Ce conflit existe ailleurs dans le monde et il a souvent mené à des émeutes à caractère racial, souligne M. Brodeur. «En France, le jour, c'est la police de proximité, et le soir, c'est la Brigade anti-criminalité, les BAC, qui interviennent. Et eux, ce sont des chasseurs. À New York, c'est exactement la même chose. C'est le Street crime uni qui a logé 41 balles dans le corps d'Amadou Diallo.»

Que reste-t-il de la police communautaire?

Dans la même veine, les criminologues constatent que la philosophie de police communautaire s'est considérablement diluée au fil des ans. «Le concept a perdu de sa précision et une certaine lassitude dans la poursuite des réformes s'est installée au SPVM», écrivent-ils.

«Dans certains quartiers, la police communautaire se réalise dans des stratégies opérationnelles de partenariat avec la communauté, alors que dans d'autres quartiers, elle a perdu une grande part de sa spécificité et a même donné naissance à son contraire, à savoir une police d'intervention répressive qui s'incarne entre autres dans les opérations de l'unité Éclipse.»

«Si la philosophie de police communautaire était appliquée intégralement, on n'aurait pas eu d'incident comme celui de Montréal-Nord», ajoute M. Brodeur. Valérie Sagant ajoute que les policiers ont parfois du mal à définir concrètement la police communautaire. «La police communautaire, ce n'est pas faire copains-copains avec les délinquants», dit-elle. Et dans le cas des émeutes, les policiers sont déchirés entre la philosophie communautaire et la nécessaire intervention.

«Lorsque les violences se déchaînent, la stratégie de conciliation et de rapprochement est disqualifiée et contre-productive. Une bande d'émeutiers ne correspond plus à ce qu'on pourrait appeler une communauté. Dans la mesure où ils demeurent attachés à la police communautaire, les policiers ont donc tendance à vouloir éviter la confrontation», écrivent-ils. «Cette ambivalence n'a jusqu'ici jamais été résolue.»

Enquêtes sur la police trop longues

Les criminologues interpellent également le ministère de la Sécurité publique. Les enquêtes faites par des policiers sur d'autres policiers sont interminables et «la longueur des enquêtes a pour résultat de créer un doute dans l'opinion publique», écrivent-ils. «C'est un obstacle de taille à leur transparence. Il faudrait résoudre de façon prioritaire ce problème.»

Le SPVM a aussi des leçons à prendre dans l'art de communiquer. Les difficultés du SPVM à produire une version officielle des faits dans l'affaire du décès de Fredy Villanueva «n'ont pas aidé à rétablir une relation de confiance entre la police et la population».

Dans les dernières semaines, les criminologues ont présenté leur rapport à l'état-major du SPVM. Le document a été globalement «bien accueilli», indique Jean-Paul Brodeur.