Mercredi, 7h13 du matin. Nous sommes à la station Roxboro-Pierrefonds du train de banlieue qui va de Deux-Montagnes à Montréal. Le train est bondé. Un mur de passagers se dresse devant ceux qui attendent déjà depuis un bon moment sur le quai. «Tassez-vous, tassez-vous, je veux entrer!» crie un homme. Un jeune homme, dans la vingtaine, réplique vivement qu'il n'y a plus de place. Une échauffourée s'engage.

Cette soudaine explosion de fureur est le symptôme des maux profonds qui affligent, depuis plusieurs mois déjà, les pauvres banlieusards qui grimpent chaque matin à bord des trains de l'Agence métropolitaine de transport (AMT). Depuis un an, les retards se multiplient, les équipements flanchent, les aiguillages sont mal faits, et les trains sont si bondés qu'une passagère, incommodée par la chaleur, aurait vomi au beau milieu de la foule la semaine dernière.

 

Les lignes Deux-Montagnes-Montréal et Rigaud-Dorion-Montréal sont particulièrement problématiques, surtout depuis que l'AMT a changé les horaires de la ligne Deux-Montagnes pour supprimer un départ de 6h20, alors que les trains sont particulièrement achalandés. La chose a provoqué une ruée vers le départ de sept heures. Et les trains sont bondés.

«Dans les vestibules métalliques aux extrémités des trains, il y avait des autocollants indiquant qu'il était interdit et dangereux de rester dans ces vestibules lorsque le train est en circulation. L'infraction était passible d'amende. Avec l'explosion de l'achalandage, ils ont simplement enlevé les autocollants... Est-ce moins dangereux maintenant avec des sardines entassées dans ces vestibules pour espérer rentrer à l'heure au bureau?» se demande Michel Cousineau, un usager régulier de la ligne Deux-Montagnes.

«C'est devenu pire que les trains des pays du tiers-monde», s'indignait, il y a deux semaines, une autre passagère régulière, Antoinette Ghanem.

Le 18 janvier dernier, le président de l'AMT, Joël Gauthier, s'est excusé pour la semaine «cauchemardesque» qu'avaient vécue les usagers. Cette semaine, il a annoncé que les anciens horaires seraient rétablis sur la ligne Deux-Montagnes, et que les usagers auraient droit à d'importantes réductions sur la carte mensuelle pendant les deux prochains mois.

Mais manifestement, pour certains banlieusards, la coupe a déjà débordé. Le même jour où le président de l'AMT faisait son mea-culpa, l'avocat Normand Painchaud a annoncé qu'il intentait, au nom d'un usager nommé Yves Boyer, un recours collectif de 65 millions au nom des 45 000 usagers des deux lignes de train problématiques. Retards au travail, retards dans les services de garde, les usagers ont droit à une juste compensation, plaide-t-il.

Un réseau pris d'assaut

Depuis 11 ans, l'achalandage dans les trains de banlieue a explosé. De 1,5 million de passages en 1995, on est passé à 8 millions en 2006. La population de villes comme Deux-Montagnes ou Sainte-Marthe-sur-le-Lac a grimpé en flèche: le nombre d'habitants y a augmenté de 25% et 35% en 10 ans. Et la croissance n'est pas finie: il suffit d'aller jeter un coup d'oeil sur les sites web de grands entrepreneurs pour voir le nombre de projets immobiliers à venir dans ces villes. Et partout, pour convaincre les gens d'acheter, l'argument massue est le suivant: «Situé à proximité de la gare du train de banlieue».

«Bref, un train en banlieue crée de la richesse... Le problème, c'est la gestion déficiente de l'AMT», souligne Michel Cousineau, qui s'est lui-même établi à Deux-Montagnes dans les dernières années.

Et certains usagers sont si ébahis de cette gestion médiocre, qui se manifeste dans mille détails, de la climatisation déficiente aux conducteurs insensibles aux passagers qui attendent dans le froid polaire depuis 45 minutes, qu'ils en sont réduits à... concevoir une bonne vieille théorie du complot.

«Et si Joël Gauthier savait ce qu'il faisait? nous écrit Jacques Lacoste dans un courriel mi-blagueur, mi-sérieux. En changeant les horaires de train le 12 janvier dernier, l'AMT a augmenté l'offre de service à la limite de sa capacité, éliminant sa marge de manoeuvre pour l'entretien. Or, le problème de l'AMT, c'est qu'elle doit faire avec des fournisseurs de service qui sont plus ou moins intéressés à lui donner ce dont elle a besoin. La solution pour faire avancer le dossier? Faire éclater le système et amener le tout sur la place publique!»