Les investissements de 212 millions de dollars sur 10 ans, annoncés dans le budget fédéral de mardi pour le pont Champlain, permettront de maintenir la structure pleinement fonctionnelle et sécuritaire... en attendant son probable remplacement par un nouveau pont.

La Presse a appris hier que les crédits prévus par le gouvernement fédéral, dans le budget Flaherty, seront strictement affectés à un programme de réfection de 10 ans visant le renforcement de la structure d'acier et de béton de ce pont de 3,7 km, inauguré en 1965, entre Brossard et le sud-ouest de Montréal.

Selon la Société des ponts Jacques-Cartier et Champlain, le pont le plus achalandé au Canada, utilisé annuellement par près de 60 millions de camions et d'automobiles, a grand besoin de travaux de solidification des poutres et de leurs assises, et ce, même si on assure que «le pont est encore bon et sécuritaire pour au moins 20 ans».

«Les fonds prévus au budget correspondent aux montants demandés par la Société pour son plan d'entretien et de réfection à long terme de 10 ans», a précisé le porte-parole de la société fédérale, André Girard.

Le gouvernement fédéral devra toutefois prendre, d'ici là, une décision importante quant à l'avenir de cette infrastructure extrêmement sollicitée, dont l'allure générale trahit la fatigue et l'usure, par le temps, les intempéries, et les passages répétés et quotidiens de milliers d'autobus et de camions.

M. Girard a reconnu qu'une étude comparative, évaluant plusieurs scénarios, dont le renforcement, ou l'élargissement à huit voies de la structure actuelle qui en compte six, est présentement en voie de réalisation. Elle pourrait être rendue publique avant la fin de cette année. L'étude évaluera également la possibilité de construire un tout nouveau pont à côté du pont actuel.

M. Girard a toutefois refusé de parler de ces différents scénarios.

Selon les sources de La Presse, ce nouveau pont, qui toucherait terre dans l'île de Montréal, en face de l'endroit où s'élèvent aujourd'hui les studios de cinéma Mel's, dans le Technoparc, prendrait sans doute une dizaine d'années à être conceptualisé, développé et construit. En dollars actuels, le nouveau pont Champlain coûterait environ 1,5 milliard.

Le pont actuel serait démoli après la mise en service du nouveau pont, vers la fin de la prochaine décennie.

Dans l'intervalle toutefois, la Société des ponts Jacques-Cartier et Champlain veut conserver la pleine fonctionnalité du pont actuel, en effectuant d'importants travaux, sous la structure. M. Girard a tenu à préciser que la plupart des travaux prévus sur le pont actuel dans les 10 prochaines années n'entraîneront pas des fermetures de voies pour de longues durées, comme ce fut le cas durant plusieurs mois, en 2008, pour une autre infrastructure majeure du réseau routier supérieur de la métropole, l'échangeur Turcot.

Pour des raisons difficiles à comprendre, la nature des travaux prévus, et les coûts estimés pour leur réalisation, sont restés un secret bien gardé jusqu'au dépôt du budget de mardi où les crédits accordés par le gouvernement fédéral ont finalement été dévoilés. La Presse avait tenté d'obtenir ces informations, en faisant appel à la Loi fédérale sur l'accès à l'information. La réponse reçue à la requête de La Presse aurait fait sourire un agent du KGB soviétique de l'avant-perestroïka.

Le document reçu par le recherchiste William Leclerc, du bureau de La Presse, à Ottawa, ne contenait que trois courtes phrases (traduction).

«Le pont Champlain requiert des investissements importants, en vue des travaux majeurs visant à assurer que le pont demeure sécuritaire, affirme le document. Les coûts estimés ont été calculés l'an dernier, et reflètent l'état du pont tel que décrit dans le rapport d'inspection de 2007. L'expérience de Transport Canada porte à croire que les coûts des projets de cette ampleur et de cette complexité sont souvent sous-estimés.»

Les tableaux décrivant la nature des travaux projetés sur le pont Champlain, dans le plan d'entretien de 10 ans de la société fédérale, de même que les estimations de coûts pour leur réalisation, étaient toutefois complètement masqués.

M. Girard a soutenu que cette discrétion dans la divulgation des informations sur l'état de ce pont majeur est probablement due à des pratiques administratives, interdisant la divulgation des avis externes ou des coûts de projets, jusqu'à l'approbation finale des crédits ministériels, plutôt qu'à une intention de «cacher l'information».

Le porte-parole de la Société a estimé que les précautions prises par le ministère fédéral des Transports pour répondre à la demande d'accès à l'information de La Presse étaient probablement inutiles, dans la mesure où la nature des travaux projetés avait déjà fait l'objet d'un long reportage de l'émission scientifique Découvertes à Radio-Canada -dont M. Girard a d'ailleurs vanté la précision et la rigueur.