L’auteur Yves Beauchemin raconte les souvenirs qu’il garde du village de Clova, menacé par les flammes, où il a grandi

« C’était comme… un navire perdu dans l’océan. » Au bout de la ligne, l’auteur Yves Beauchemin fouille dans ses souvenirs d’enfance. Un long chemin de fer qui relie l’Abitibi et la Haute-Mauricie. Une mer d’épinettes noires. Un lac. Et un tout petit village, Clova, où son père a emmené vivre toute sa famille, à la fin des années 1940.

« J’ai vécu à Clova de l’âge de 5 ans jusqu’à 13 ans », dit M. Beauchemin, né à Rouyn-Noranda en 1941. « C’est toute mon enfance qui part en fumée… Ce sont des années qui m’ont laissé un souvenir merveilleux. C’était un minuscule village, quelque chose comme 400 habitants, sur le bord d’un lac. Comme enfants, on y vivait dans un état de liberté que vous ne pouvez même pas imaginer. »

Fondé au début du siècle dernier lors de la construction du chemin de fer du réseau Transcontinental, Clova aurait été baptisé par des ouvriers d’origine écossaise qui auraient voulu rappeler le nom de leur hameau d’origine, près d’Aberdeen, en Écosse. La Compagnie internationale de papier (Canadian International Paper Company, ou CIP) a ensuite été propriétaire du village entouré de chantiers de bûcherons. Le bureau de poste a été ouvert en 1925, puis des habitations, un hôtel, une école primaire. Des annonces étaient publiées régulièrement dans La Presse pour recruter des bûcherons.

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Petite annonce parue en mars 1944 dans La Presse

« Mon père travaillait pour la CIP, raconte Yves Beauchemin. Il était d’ailleurs responsable de la lutte contre les incendies de forêt. »

Pour compenser l’éloignement, la CIP logeait confortablement les familles des employés dans des maisons blanches et vertes. « On habitait un semi-détaché avec nos voisins, les Sullivan. La maison était fournie, le chauffage aussi. La nourriture… La compagnie vendait la viande seulement 10 sous la livre ! »

Les anecdotes se bousculent. Des garçons qui se faufilent dans les entrepôts de l’entreprise, qui assemblent des rails au sommet d’une butte, qui comptent monter dans un wagonnet abandonné pour dévaler la pente… « Ouais. C’était un peu casse-cou ! »

Et puis, il y avait l’école. « J’ai appris à lire et à écrire à Clova. J’étais un premier de classe. Il y avait beaucoup de livres chez nous parce que ma mère adorait la lecture. La maîtresse d’école s’appelait Anna Meunier. Elle aurait pu être capitaine d’un navire de guerre ! Elle enseignait à des élèves de la première à la septième année dans la même classe ! » L’immeuble était en bois rond et comptait deux classes, l’une francophone et l’autre, anglophone. « Et pendant les récréations, bien souvent, les Anglais se battaient contre les Français. »

PHOTO CATHERINE LEFEBVRE, ARCHIVES COLLABORATION SPÉCIALE

Il est possible de se rendre à Clova à bord d’un train reliant Senneterre à Montréal.

À 13 ans, l’adolescent quitte la forêt et poursuit ses études au Séminaire de Joliette. Il y retournera une première fois en train à l’âge de 17 ans, avec son jeune frère, à l’aube des années 1960. « Je me souviens d’avoir été très ému parce que le village n’avait presque pas changé. »

De coquet à délabré

Ce n’était plus le cas en 1974, quand il y est retourné, par la route cette fois, avec sa femme, Vivianne. Le coquet village qu’il avait connu était délabré. L’hôtel était dans un état pitoyable. « Toutes les portes des chambres étaient défoncées… » Les clients en état d’ébriété hurlaient dans la nuit. La maison familiale avait été brûlée. Il ne subsistait qu’une petite cabane que son père avait construite pour sa jeune sœur.

Le cauchemar a été consigné dans une nouvelle, « Une nuit à l’hôtel », qui est aussi le titre du recueil de récits dans lequel elle a été publiée en 2001.

Yves Beauchemin n’est pas retourné à Clova depuis. En 1978, la CIP a été vendue. En 1981, l’auteur a publié son grand roman à succès, Le matou. « Je conserve quand même un attachement profond à ce village. C’est là où j’ai appris à écrire, à lire, où j’ai développé ma passion pour la lecture, où je m’étais fait des amis. Quand Le matou a paru, il y a des tas de gens qui avaient vécu à Clova qui sont venus me rencontrer parce que j’étais devenu la gloire du village », se souvient le romancier, amusé. « Quand on a demeuré à Clova, on ne l’oublie jamais. »