(Portneuf-sur-Mer ) Ils sont partis vendredi en famille pour une pêche nocturne au capelan, ce poisson si foisonnant que les pêcheurs le ramassent à la chaudière. Cinq d’entre eux se sont retrouvés prisonniers du fleuve. Leur mort a semé la douleur et l’incompréhension dans une région tissée serré.

« La Haute-Côte-Nord est en deuil », lâche Henriette Émond, avec l’air de celle qui ne comprend pas encore ce qui vient de se passer.

La résidante de Portneuf-sur-Mer habite presque en face du lieu où sont morts Keven Girard, 37 ans, ses deux garçons, Patrick et Jérôme, ainsi que deux autres enfants dans la nuit de vendredi à samedi.

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Le drame s’est déroulé près de cette berge et du banc de sable, au loin.

Le fleuve devant Portneuf-sur-Mer a des airs de carte postale, avec au large une bande de sable longue de 4,5 km qui fait le bonheur des marcheurs, des ornithologues et des pêcheurs.

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Henriette Émond, résidante de Portneuf-sur-Mer

C’est notre terrain de jeu depuis notre jeunesse. On connaissait les marées, on savait quand c’était le temps de s’en aller parce qu’on ne pourrait plus passer dans le canal.

Henriette Émond, résidante de Portneuf-sur-Mer

« Y a même des jeunes qui couchaient sur le banc de sable. Mais avec l’érosion des berges, c’est sûr que le banc est pas mal moins large que dans le temps. Et les marées vont vite. »

Dans la nuit de vendredi, la carte postale a disparu. Le fleuve s’est transformé en piège.

Ce coin de la Haute-Côte-Nord vit depuis deux jours un deuil sans nom. Des dizaines de personnes se sont réunies en fin de journée dimanche aux Bergeronnes en hommage aux cinq victimes, mais aussi en soutien aux parents de Keven Girard, qui ont perdu d’un coup un fils et deux petits-fils.

Pris par la marée

La petite bande de 11 personnes s’était aventurée dans le fleuve à cet endroit vendredi pour pêcher le capelan. Ce poisson « roule » quand la marée remonte, explique le maire de Tadoussac, Richard Therrien.

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Richard Therrien, maire de Tadoussac

Il s’en vient sur le bord de la berge, roule sur les bancs de sable et on peut en ramasser à la tonne, même à la main, quasiment à plein sac.

Richard Therrien, maire de Tadoussac

Les 11 jeunes et adultes étaient originaires de Tadoussac, des Bergeronnes ou encore des Escoumins, des villages non loin de Portneuf-sur-Mer. Ils y sont allés en pleine nuit, ce qui n’est pas inusité.

« Ce n’est pas rare que les gens y aillent de nuit, ils se font des feux à cet endroit », explique Jean-Maurice Tremblay, le maire de Portneuf-sur-Mer qui se retrouve depuis samedi au cœur d’un tourbillon médiatique.

« Si je n’ai pas fait 15 entrevues aujourd’hui, je n’en ai pas fait une… », lâche ce natif du village qui, de mémoire de Portneuvois, n’a jamais assisté à un tel drame dans le fleuve.

Ce qui s’est passé ensuite reste flou. La Sûreté du Québec (SQ) indique « qu’ils se sont fait prendre par la marée ». L’eau du fleuve aurait recouvert la surface de terre qui séparait la presqu’île où ils pêchaient de la rive.

Dans la noirceur de la nuit, les 11 pêcheurs ont tenté de regagner la terre ferme avec un véhicule tout-terrain (VTT). Un premier groupe de six y est parvenu. Mais les cinq restés derrière « étaient comme prisonniers sur une île », note le maire du village.

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Jean-Maurice Tremblay, maire de Portneuf-sur-Mer

S’ils étaient restés sur place, je crois qu’ils auraient pu rester au sec. Je ne sais pas pourquoi ils ont insisté à revenir. On ne connaîtra peut-être jamais la raison.

Jean-Maurice Tremblay, maire de Portneuf-sur-Mer

L’eau était très froide cette nuit-là, « à trois ou quatre degrés », précise le maire. Les quatre mineurs, âgés de plus de 10 ans, ont été retrouvés inanimés tôt samedi matin. La SQ a finalement dévoilé l’identité de la cinquième victime dimanche après-midi.

Keven Girard, des Bergeronnes, était le père de deux des garçons morts. Sa fille a quant à elle été secourue. Les deux autres mineurs étaient originaires de Tadoussac et membres d’une même famille.

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Keven Girard

Est-ce que Keven Girard est mort en tentant de secourir les jeunes ? Peut-être que l’enquête du coroner saura le dire. Selon plusieurs informations que la SQ n’a pas voulu confirmer, un homme qui faisait partie du groupe a été hospitalisé à Baie-Comeau après avoir tenté de sauver les jeunes.

Mélanie Roy-Desmeules, la mère des deux garçons décédés, était séparée de Keven Girard.

« C’est une tragédie sans nom qui s’abat sur notre famille. Mélanie était la mère de Patrick et de Jérôme. Leur départ laisse un trou béant. Merci pour les témoignages bienveillants qui se sont rendus jusqu’à nous », ont fait savoir les familles Roy et Desmeules, par écrit.

Une vigile dans la douleur

Le drame a secoué tous les villages qui s’égrènent sur cette section de la Haute-Côte-Nord qui fait 80 km, de Tadoussac à Portneuf-sur-Mer.

« J’ai parlé à leur père pas plus tard que jeudi passé », laisse tomber le maire de Tadoussac, Richard Therrien, en référence aux deux jeunes de sa communauté morts dans l’accident.

Le maire avait même entraîné l’un des garçons au hockey. « On est des villages tissés serré », dit-il.

Certaines des victimes jouaient dans la même équipe de hockey à Forestville. Plusieurs d’entre elles fréquentaient la polyvalente des Bergeronnes.

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Une centaine de citoyens ont rendu hommage aux victimes à l’église des Bergeronnes, dimanche.

Les parents de Keven Girard ont perdu dans cette nuit fatidique un fils et deux petits-fils. Ils ont participé dimanche à une vigile à l’église des Bergeronnes.

Une centaine de citoyens sont venus rendre hommage aux victimes. L’atmosphère devant la petite église de bois était à couper au couteau. Plusieurs s’enlaçaient en sanglotant.

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De nombreuses personnes endeuillées s’enlaçaient, dimanche, lors de la vigile pour les disparus.

La grand-mère éplorée a adressé quelques mots à la petite foule. Puis elle est partie avec son deuil.

« Ça fait mal. Ce sont des gens qu’on côtoie tous les jours. Tous les enfants ici sont touchés », a lâché la mairesse des Bergeronnes, Nathalie Ross.

« Toute la Haute-Côte-Nord vit ce drame dans la tristesse et la solidarité. On cherche à comprendre. Mais ce n’est pas facile. »

Avec la collaboration d’Émilie Bilodeau, La Presse