Incursion dans le centre Uapan Utshekatak de Mani-utenam, qui vient en aide aux membres de la communauté.

(Mani-utenam) Uapishtan Vollant serre entre ses doigts une petite pierre noire. C’est une pierre traditionnelle qui lui a été offerte quand il a entrepris son chemin vers la guérison.

« Ça représente beaucoup, c’est ma force. J’ai moins peur quand j’ai ma roche avec moi », admet l’Innu de 49 ans.

Uapishtan Vollant est encore « en rétablissement ». Il est venu ici, au centre Uapan Utshekatak de Mani-utenam, pour chasser ses démons : la drogue, l’alcool et le jeu. « Quand je suis entré, j’étais loin », admet celui qui est sobre depuis janvier. « Je suis clean », dit-il calmement.

Le centre Uapan Utshekatak a ouvert ses portes à La Presse par un samedi ensoleillé, mais encore frisquet, de la fin mars.

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Entrée du centre Uapan Utshekatak, dont le nom signifie « l’étoile du matin »

L’intervenante Josée Vollant a accepté, à notre demande, de réunir quelques membres de la communauté d’Uashat mak Mani-utenam qui ont suivi une session de guérison.

Ils sont dix à former un grand cercle. Ils ont de 13 à 68 ans. Ils ont séjourné au centre pour des raisons différentes, mais avec un objectif commun : aller mieux. Ensemble, ils veulent livrer un message d’espoir.

Parce qu’il y a aussi des gens qui guérissent.

« J’ai pardonné »

La Presse a rapporté vendredi que la consommation de drogues, particulièrement les dérivés de cocaïne, fait des ravages dans la communauté innue située à une quinzaine de kilomètres à l’est de Sept-Îles, et ce, depuis la pandémie. Les autorités sont sur les dents, le gouvernement Legault promet des actions sous peu.

Lisez notre dossier « Une communauté innue affligée : “Le problème, c’est la coke” »

« Ça fait 600 jours que je suis abstinent », lance Rocky St-Onge sous les applaudissements nourris de ses camarades. La consommation de cocaïne l’a plongé en enfer. Crise familiale, séjour en psychiatrie, idées noires… Le père de famille de 37 ans revient de loin.

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L’intervenante Josée Vollant (au centre) et Rocky St-Onge (à droite)

« J’ai voulu mourir. On va parler des vraies affaires là… j’ai voulu m’enlever la vie. Ce n’est pas tant que je voulais mourir, mais je ne voulais plus rien ressentir », affirme-t-il avec aplomb. Son « dur passé » a eu des répercussions sur ses proches. Il le sait bien.

Deux de ses enfants, Mayna et Charles St-Onge, 15 et 13 ans, font partie du cercle. Ils écoutent avec attention leur père revenir sur son parcours. Des larmes coulent sur les joues de Charles.

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Rocky St-Onge et ses enfants Charles et Mayna

« Je les ai vus, mes enfants », poursuit Rocky. Sa gorge se noue, puis il reprend.

[Mes enfants] ne dormaient pas bien, ça n’allait pas bien à l’école. Depuis que je me rétablis, ils dorment bien. J’ai moins d’appels de l’école.

Rocky St-Onge

« J’ai pardonné », rétorque Charles, la voix tremblante. Sa sœur et lui s’impliquent maintenant au centre Uapan Utshekatak, qui offre des séjours aux jeunes de 14 à 17 ans.

« Quand je suis l’aidant, ça me fait du bien. Ça me fait du bien de voir du monde qui guérit », lance le garçon, les yeux rougis.

Le centre Uapan Utshekatak a pignon sur rue à Mani-utenam. De l’extérieur, la petite maison bleue défraîchie n’a l’air de rien. Pourtant, à l’intérieur, il se passe de grandes choses, aux dires du groupe. « Quand tu sors d’ici, tu portes une lumière », assure Rocky St-Onge.

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Le centre Uapan Utshekatak a pignon sur rue à Mani-utenam.

« Il faut porter cette lumière qui fait en sorte que le monde va vouloir venir ici [pour se guérir] », ajoute-t-il.

La popularité de la session, qui dure quatre jours, ne se dément pas. « Je n’ai même pas le temps d’afficher [la disponibilité], ça se remplit vite », illustre Mme Vollant. Le bouche-à-oreille dans la communauté de quelque 4500 âmes fait aussi son œuvre.

Des victoires, des rechutes

Uapishtan Vollant n’en est pas à sa première thérapie. Voilà deux ans qu’il s’est débarrassé de sa dépendance à l’alcool, mais pour la drogue, c’est plus difficile. Il a rechuté l’an dernier. « C’est un combat perpétuel. Chaque jour », relate cet ancien consommateur de cocaïne, caressant sa pierre traditionnelle.

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Uapishtan Vollant et sa conjointe (à sa gauche)

[Les revendeurs], ils sont là partout. Ce sont des cousins, des amis. C’est trop facile d’en acquérir. Je serais content qu’il n’y en ait plus. La drogue, c’est un fléau ici.

Uapishtan Vollant

« Il faut que tu veuilles vraiment t’en sortir », poursuit-il.

Le problème est tel que les participants à l’entretien parlent d’une « guérison communautaire ».

Le conseil innu Takuaikan Uashat mak Mani-utenam affirme avoir bonifié l’offre de services communautaires, au cours des dernières années. S’amorce d’ailleurs cette semaine le colloque Pakatan sur la prévention du suicide, la toxicomanie, la santé mentale et l’identité culturelle.

Les services sociaux Uauitshitun ont rapporté vendredi une hausse fulgurante des demandes de service depuis la pandémie. C’est aussi un signal, selon la coordonnatrice Alice Guimond, que la communauté demande de l’aide.

Croire en l’avenir

Assise à côté de Mme Vollant, Karine Régis est une des dernières à prendre la parole. « Je suis une enfant de survivants de pensionnat. Mes parents l’ont fréquenté, j’ai grandi dans l’univers de l’alcool, de la violence, de la toxicomanie », relate-t-elle.

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Karine Régis

« Je n’ai jamais eu de problème de consommation », rapporte la femme de 50 ans. Elle a cependant eu le mal de vivre. Une douleur qu’elle a pu calmer au centre. Aujourd’hui, elle s’accroche à l’avenir.

« Je refuse de voir ma communauté comme des allochtones nous voient, comme des gens vulnérables, alcooliques, toxicomanes… Je suis d’une communauté en rétablissement », plaide-t-elle avec conviction. « Quand je vois Charles et Mayna, ça me donne l’espoir. »

« Je crois en ma communauté, je crois au rétablissement. »

Uapan Utshekatak veut dire « l’étoile du matin ». Celle que l’on voit encore à l’aube, explique Josée Vollant.

Cet après-midi là, dans la petite maison bleue, elle brillait encore dans les yeux de ces survivants.