(Ottawa) La mairesse de Lac-Mégantic, Julie Morin, ne veut plus que « le meurtrier » circule au centre-ville de sa municipalité. Et elle se dit « scandalisée » de voir que le gouvernement Trudeau commence à louvoyer sur le tracé de la voie de contournement ferroviaire, qui a déjà fait l’objet d’une panoplie d’études environnementales, géotechniques et autres.

Les années passent et les obstacles continuent de surgir avant d’entreprendre les travaux de construction de cette fameuse voie de contournement de 12,5 km à Lac-Mégantic, cinq ans après une promesse solennelle du premier ministre Justin Trudeau de mener à bien ce projet, qui permettrait de tourner la page sur la tragédie du 6 juillet 2013.

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Julie Morin, mairesse de Lac-Mégantic

À preuve, on évoque maintenant la possibilité de construire une demi-voie de contournement, à la suite de pressions exercées par l’Union des producteurs agricoles (UPA) de l’Estrie, entre autres. Cette idée, « qui n’est pas une option acceptable » pour la mairesse, a été présentée récemment aux cabinets de deux ministres du gouvernement Trudeau : le ministre des Transports, Omar Alghabra, et la ministre de l’Agriculture, Marie-Claude Bibeau.

Concrètement, cette proposition consisterait à utiliser le tracé retenu pour la section de Nantes jusqu’à la zone industrielle de Lac-Mégantic, puis à sortir de cette zone en rejoignant la voie ferrée actuelle qui passe au nord du Centre sportif Mégantic et traverse la rivière Chaudière sur le pont existant, rapportait samedi le quotidien La Tribune. Elle éviterait également la construction de 5 km de voies ferrées en terres agricoles et forestières dans la région de Frontenac.

Phase déterminante

Ces tractations surviennent au moment même où l’étude du tracé du projet entre dans une phase déterminante : Transports Canada vient de lancer les consultations publiques sur l’impact du tracé sur l’eau potable et les milieux humides.

Au printemps 2021, six mois avant les élections fédérales, le gouvernement Trudeau soutenait pourtant que les travaux de construction de la voie de contournement devaient commencer au plus tard au printemps 2022. Et une mise en service était prévue au plus tard à la fin de 2023.

Dans une entrevue à La Presse, la mairesse Morin affirme avoir l’impression de participer, dans ce dossier, à un marathon qui n’en finit plus parce qu’on repousse constamment la ligne d’arrivée chaque fois qu’on s’en approche.

Dix ans plus tard, oui, il y a des gens qui se sentent mieux. Mais il y a encore des gens qui ne dorment pas et qui sont encore traumatisés. Il y a encore des gens qui attendent avec impatience le jour où le meurtrier ne passera plus à deux pas de leur maison. Ça, il y en a qui l’oublient.

Julie Morin, mairesse de Lac-Mégantic

Elle a rappelé que 1263 bâtiments de Lac-Mégantic se trouvent actuellement à moins de 500 mètres de la voie ferrée, soit 82 % de tous les bâtiments sur son territoire. Et aujourd’hui, les trains qui traversent le centre-ville de Lac-Mégantic sont plus longs que jamais et transportent encore des matières dangereuses. « Les trains sont de plus en plus longs. Parfois, c’est plus de 5 km et ça prend 20 minutes à franchir un passage à niveau », a-t-elle signalé.

Une lettre envoyée à Justin Trudeau

Afin d’éviter que le projet ne soit encore indûment retardé, tandis que le 10e anniversaire de cette tragédie qui a fait 47 morts se profile à l’horizon, la mairesse Morin a expédié une lettre de trois pages à Justin Trudeau lundi.

Dans cette lettre, dont La Presse a obtenu une copie, elle presse le premier ministre de réaliser le projet tel que promis il y a cinq ans « sans compromis et sans que des délais supplémentaires ne s’ajoutent sans raison valable. Nous avons déjà trop attendu. »

« Encore aujourd’hui, malgré tous les efforts déployés, le projet traîne en longueur et cela affecte l’ensemble de la communauté. […] Récemment, j’ai été informée qu’un projet de demi-voie de contournement avait été présenté à certains de vos cabinets ministériels. Je trouve inconcevable qu’on prête même une oreille attentive à ce genre de projet, alors qu’on est si avancé dans le processus, que ces options ont été retranchées », affirme Mme Morin dans sa missive.

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Scène de dévastation dans le centre-ville de Lac-Mégantic, en juillet 2013

« Dans ce contexte et pour tout ce que la population de Lac-Mégantic a vécu le 6 juillet 2013 et dans les années qui ont suivi, il m’apparaît complètement inacceptable que le gouvernement songe à un projet de demi-mesure, qui ne répondrait nullement à la prémisse de base, celle de sortir le train du centre-ville et de l’éloigner le plus possible des milieux urbanisés », enchaîne-t-elle dans cette lettre.

Mais selon le président du Syndicat des producteurs forestiers du sud du Québec (SPFSQ) au sein de l’UPA-Estrie, André Roy, la construction d’une demi-voie de contournement est une option de rechange qui s’impose. « Ça nécessiterait moins de construction de nouvelles voies, ça sauverait des centaines de millions de dollars aux contribuables canadiens. C’est tellement logique, ce qu’on propose, qu’on se demande où ça bloque », a-t-il déclaré au quotidien La Tribune en fin de semaine.

Une voie de contournement d’un milliard ?

La facture du projet de voie de contournement ferroviaire à Lac-Mégantic continue d’augmenter et s’approche désormais du milliard de dollars, selon des informations obtenues par le maire de Nantes, Daniel Gendron, auprès d’une « source sûre » chez Transports Canada. Le coût total du tronçon de voie ferrée de 12,5 km serait maintenant de 950 millions de dollars. La hausse du coût des matériaux et la rareté de la main-d’œuvre expliqueraient en bonne partie cette importante augmentation, selon M. Gendron. « Le maire de Frontenac a eu de son côté le même chiffre que moi, devant témoin, dit-il, et il n’a pas été démenti. » On se souviendra que dans le dernier budget fédéral, dévoilé en avril, les provisions faites par Ottawa « pour la construction de la voie de contournement, le démantèlement de la voie existante et la mise en œuvre des mesures environnementales » laissaient deviner que la facture avait atteint 395 millions, en hausse de 300 % sur les 133 millions prévus lors de l’annonce du projet par les premiers ministres Justin Trudeau et Philippe Couillard à Lac-Mégantic en mai 2018.

Jacynthe Nadeau, La Tribune