(Montréal) Avec ses kilomètres de rapides et ses eaux d’un bleu profond serpentant dans la région de la Côte-Nord au Québec, la rivière Magpie est depuis longtemps un endroit important pour les Innus d’Ekuanitshit.

Aujourd’hui, la rivière, une destination majestueuse et de renommée mondiale pour le rafting en eau vive, a obtenu le statut de personnalité juridique dans le but de la protéger des menaces futures, telles que le développement hydroélectrique. Son nouveau statut signifie que le cours d’eau pourrait théoriquement poursuivre le gouvernement.

Le 16 février, la municipalité régionale de comté de Minganie et le Conseil des Innus d’Ekuanitshit ont adopté des résolutions distinctes mais similaires accordant à la rivière neuf droits juridiques, dont le droit de couler, de maintenir sa biodiversité naturelle et d’intenter une action en justice.

La résolution précise que la rivière peut être représentée par des « gardiens » nommés par la municipalité régionale et les Innus, qui auraient « le devoir d’agir au nom des droits et des intérêts de la rivière et de veiller à la protection de ses droits fondamentaux »

La résolution souligne la biodiversité de la rivière, son importance pour les Innus et son potentiel en tant que destination touristique comme raisons pour lesquelles le cours d’eau a besoin d’une protection spéciale.

Pier-Olivier Boudreault, de la section québécoise de la Société pour la nature et les parcs du Canada (SNAP), affirme que cette décision est enracinée dans la conviction que la rivière est une entité vivante qui mérite des droits.

« L’idée est que la rivière est vivante, qu’elle a une existence intrinsèque qui ne dépend pas de l’être humain, a-t-il expliqué dans une récente entrevue. Ça ne devient plus une simple ressource pour les humains ; ça devient une entité qui a ses droits, qui a le droit de vivre, d’évoluer naturellement, d’avoir ses cycles naturels. »

PHOTO YANN TROUTET, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

Une première au Canada

C’est la première fois qu’une rivière obtient un statut juridique au Canada, souligne M. Boudreault. Des efforts similaires ont été couronnés de succès dans des pays comme la Nouvelle-Zélande, l’Inde et l’Équateur.

David Boyd, avocat spécialisé en environnement et rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme et l’environnement, affirme que l’idée d’accorder des droits à une rivière n’est pas aussi farfelue qu’il n’y paraît. 

Dans notre système juridique, nous déclarons que beaucoup de choses ont la personnalité juridique, comme les municipalités et les entreprises.

David Boyd, avocat spécialisé en environnement et rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits de l’homme et l’environnement

Il a ajouté que le mouvement « de la personnalité environnementale » est une réponse à la conviction que les gouvernements successifs à travers le monde n’ont pas réussi à protéger adéquatement l’environnement, ainsi qu’à la reconnaissance croissante des droits des peuples autochtones et de leurs concepts juridiques.

Bien que ce soit nouveau au Canada, il dit que la résolution « pourrait avoir un peu de force » en raison de la protection constitutionnelle des droits des Autochtones.

« En théorie, vous pourriez intenter une action en justice au nom de la rivière pour empêcher la réalisation d’un projet hydroélectrique », estime-t-il.

Un havre pour les Innus

Uapukun Mestokosho, membre de la communauté innue qui a participé à l’effort de conservation de la rivière Magpie, a indiqué que la rivière est une partie importante du territoire traditionnel des Innus d’Ekuanitshit.

Pour certains, passer du temps sur la rivière est une façon de renouer avec les pratiques traditionnelles qui ont été partiellement abandonnées en raison du traumatisme découlant de la violence coloniale, dont le système des pensionnats autochtones.

« Les gens souffrent beaucoup, avec des traumatismes intergénérationnels liés au passé », a affirmé Mme Mestokosho, qui a décrit l’occupation du territoire comme « une forme de guérison ».

Mme Mestokosho a déclaré que ses ancêtres ont toujours protégé la rivière Magpie, connue sous le nom de Muteshekau-shipu, et que la reconnaissance des droits de la rivière leur permettra de la préserver pour les générations futures.

La menace de l’hydroélectricité

Elle et M. Boudreault conviennent que la plus grande menace pour la Magpie proviendra probablement d’Hydro-Québec, qui a soulevé la possibilité d’instaurer un barrage à la rivière à débit rapide.

La société d’État insiste sur le fait qu’elle n’a aucun plan pour la rivière à « court ou même moyen terme » et qu’aucun plan n’est « même prévisible » dans la prochaine décennie. « Mais à long terme, nous ne savons pas quels seront les besoins énergétiques futurs du Québec », a écrit le porte-parole Francis Labbé dans un courriel.

« Pour le moment, nous ne considérons pas responsable, en matière de sécurité énergétique du Québec, de renoncer définitivement au potentiel de cette rivière. Tout futur projet devra répondre à plusieurs critères, dont l’acceptabilité sociale, a-t-il noté.

M. Boudreault affirme que les Innus, les membres du gouvernement régional et d’autres militants écologistes n’ont pas renoncé à faire pression sur le gouvernement du Québec pour accorder à la rivière un statut de protection officielle. Selon lui, la province est réticente à le faire, principalement en raison du potentiel hydroélectrique de la rivière.