Une réunion familiale le jour de la fête du Canada a tourné au drame, alors qu’une balade en tracteur a coûté la vie à trois enfants et en a grièvement blessé trois autres, de même que quatre adultes. Le conducteur du véhicule a été accusé jeudi de négligence criminelle.

Le chauffeur du tracteur a comparu au palais de justice de Granby en après-midi par visioconférence. Le trentenaire a été accusé de négligence criminelle ayant causé la mort de trois personnes lors de la conduite d’un véhicule à moteur, ainsi que de négligence criminelle ayant causé des lésions corporelles chez six personnes.

Une ordonnance de non-publication empêche de divulguer tout détail susceptible de permettre d’identifier les jeunes victimes impliquées dans l’accident, qui ont un lien de parenté avec l’accusé.

Il a été libéré sous certaines conditions. Il lui est interdit de conduire un véhicule, sauf en cas d’urgence médicale ou dans le cadre de sa profession. Il devra rester seul à bord.

Un douloureux silence accompagnait la chaleur étouffante aux abords du rang Sainte-Anne, dans le secteur rural de Notre-Dame-de-Stanbridge, en Montérégie. Là-bas, tout le monde se connaît et se salue chaleureusement. Mais jeudi, l’atmosphère était bien différente.

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L’accident s’est produit peu avant 19 h sur le rang Sainte-Anne.

La veille, aux alentours de 19 h, le pire est arrivé. La police a été avertie d’une collision impliquant un tracteur de ferme avec dans sa pelle à bois quelques bûches et une dizaine de personnes, dont six enfants âgés de 1 à 6 ans. Le conducteur, un agriculteur de 38 ans dont au moins un des enfants se trouvait à bord, aurait pris la route pour aller chercher du bois dans sa grange, à quelques kilomètres des lieux.

Pour une raison toujours inconnue, le groupe a été éjecté de la pelle. L’enquête de la Sûreté du Québec (SQ) déterminera s’il a été question d’un bris mécanique, d’une mauvaise manœuvre du chauffeur ou d’une distraction durant la conduite.

Au passage de La Presse, il ne restait aucune trace de la scène ou du véhicule saisi par la SQ à des fins d’expertise. De grosses marques de roues étaient visibles à proximité d’un fossé, où on avait laissé traîner les bûches tombées, vestiges du funeste évènement.

Les trois enfants tués dans l’accident étaient âgés de 1 an, 3 ans et 5 ans.

Jeudi soir, deux adultes étaient toujours à l’hôpital dans un état critique et avaient dû être opérés. On ne craignait pas pour la vie des autres victimes, y compris les enfants blessés.

Plus tôt dans la journée, la SQ soupçonnait que l’alcool pourrait être en cause dans cette tragédie, mais aucune accusation n’a été portée en ce sens. « L’homme au volant du tracteur a été effectivement soumis à un test d’alcoolémie, vu l’hypothèse que l’alcool pourrait être en cause », a indiqué Ingrid Asselin, porte-parole de la SQ.

Entourage éploré

En matinée, le voisinage bouleversé jetait des coups d’œil furtifs au lieu du drame, survenu devant une fermette à la peinture défraîchie et au toit rouge vif. Aux alentours du bâtiment, un sol jonché de pièces de tracteur délabrées et de jouets. À côté, quelques bouteilles de bière à moitié vides.

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Le voisinage, plongé dans la tristesse, demeure secoué par le drame.

Les occupants de la résidence, un homme et une femme affichant un air sombre, ont refusé de commenter la tragédie.

Des voisins qui connaissent depuis longtemps l’accusé et sa famille parlent d’un conducteur de tracteur expérimenté, d’un homme fiable et travaillant. « Je ne l’ai jamais vu faire ça, embarquer autant de monde dans la pelle. Je me questionne sur la responsabilité des adultes dans cette histoire, il [le conducteur] n’était pas le seul présent pendant les faits. C’est une situation où beaucoup de choses pouvaient mal tourner », a indiqué le voisin, qui préfère garder l’anonymat.

Il est sorti de chez lui peu après l’accident, alerté par le bruit d’au moins cinq ambulances et une présence policière accrue. Il a aperçu l’accusé, au moins un de ses enfants, ainsi que des membres de sa belle-famille, détaille-t-il. « Pour les ambulanciers, ça n’avait vraiment pas l’air facile d’arriver sur cette scène d’accident avec trois enfants morts. »

Le chauffeur est un excellent mécanicien, ajoute le voisin. Il rafistole depuis des années des tracteurs avec des pièces achetées au Québec ou en Ontario.

Le voisinage, plongé dans la tristesse, demeure secoué par le drame. « Ce sont de super bons voisins et on le voyait conduire son tracteur chaque jour. On est sans voix et extrêmement surpris », chuchote une autre voisine qui n’a pas voulu se nommer, incapable de retenir ses pleurs.

Scène tragique

Pour les premiers répondants, intervenir auprès d’enfants en bas âge dans des circonstances aussi tragiques demeure psychologiquement difficile. Mercredi soir, 16 paramédicaux répartis dans 8 véhicules ambulanciers se sont rendus sur les lieux pour prêter main-forte.

Dans la majorité des cas, ils n’ont pas seulement transporté les victimes, mais ont donné des soins critiques sur les lieux et à bord de leur ambulance en direction de l’hôpital. « Ils ont surtout tenté de les maintenir en vie, le temps que les patients soient pris en charge par des chirurgiens en traumatologie », précise Francis Brisebois, coordonnateur aux communications de l’entreprise ambulancière Dessercom.

« Nous avons pris en charge notre équipe de [paramédicaux] et leur avons offert de l’aide psychologique », a affirmé M. Brisebois à La Presse par courriel, décrivant une scène cauchemardesque.

« On ne connaît pas les circonstances de l’accident regrettable de mercredi. Mais les directives sont claires : ce n’est pas conseillé d’embarquer des gens dans la pelle, car le moindre impact peut éjecter ce qui s’y trouve », explique Sylvain Blanchard, propriétaire de Ferme-Médic, centre de formation en cas d’accidents agricoles.

Au Québec, 33 % des décès en milieu agricole sont dus à des tracteurs. « Dans le cas de cet évènement, on parle plus d’un accident de tracteur dans un contexte routier », précise M. Blanchard.

— Avec Philippe Teisceira-Lessard, La Presse