Le projet de Canada Carbon à Grenville-sur-la-Rouge « ne démontre aucune viabilité économique », conclut une analyse indépendante réalisée pour le compte de l’organisation Mining Watch Canada que La Presse a obtenue.

La carrière de marbre et la mine de graphite à ciel ouvert que souhaite développer l’entreprise de Vancouver ne valent pas non plus 96 millions de dollars, soit la somme réclamée à la petite municipalité par la société minière, tranche l’analyse, alors que la Cour d’appel du Québec doit se pencher sur le cas aujourd’hui.

« Ça vient confirmer l’analyse que nous, on faisait, et les craintes qu’on avait face au projet », a déclaré à La Presse Ugo Lapointe, coordonnateur de Mining Watch Canada et membre de la coalition Pour que le Québec ait meilleure mine.

« Quand la compagnie menace de réclamer 96 millions, ça ne tient pas du tout la route », ajoute-t-il, évoquant un projet minier « hautement spéculatif ».

Ressources « estimées »

Mining Watch Canada a confié à la firme d’ingénierie Kuipers & Associates le mandat d’étudier des documents produits par d’autres firmes pour le compte de Canada Carbon, afin d’évaluer le projet de la société minière, baptisé projet Miller.

Le rapport technique et l’évaluation préliminaire économique « informent correctement » l’entreprise et les investisseurs quant à l’absence de viabilité économique du projet, conclut Kuipers & Associates.

L’évaluation préliminaire économique « se base uniquement sur les ressources minérales estimées », et non pas sur les ressources vérifiées, ce qui est « rarement utilisé » pour démontrer la faisabilité d’un projet, peut-on lire dans l’analyse indépendante.

Par conséquent, la valeur du projet Miller, qui fait l’objet d’un litige en cour, est largement surévaluée, conclut le rapport.

« D’après mon expérience, les réclamations qui ne sont pas basées sur une analyse économique valide sont généralement considérées comme spéculatives et sont souvent utilisées comme une menace dans les poursuites judiciaires. » — James R. Kuipers, auteur de l’analyse

Le projet Miller présente aussi de hauts risques en raison de sa dépendance au taux de change avec le dollar étatsunien et au marché du graphite et du marbre et ne répond pas à l’ensemble des obligations exigées par la Loi sur les mines du Québec, affirme l’analyse.

Plainte à l’Autorité des valeurs mobilières

L’analyse indépendante du projet Miller démontre qu’il y a lieu de porter plainte à l’Autorité des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique, estime Mining Watch Canada, qui s’apprête à le faire.

En vertu de la Loi sur les valeurs mobilières, « une compagnie ne peut baser une étude préliminaire économique sur des ressources inférées, ce [que Canada Carbon] a fait », affirme Ugo Lapointe.

« Il y a tellement d’incertitudes » que le rendement pourrait varier de 50 %, ajoute-t-il, estimant qu’une réprimande de l’organisme pourrait entraîner une réaction négative des investisseurs.

Canada Carbon a indiqué à La Presse ne pas vouloir commenter l’analyse de Kuipers & Associates avant d’avoir pu en prendre connaissance.

« La Société ne doute aucunement de la qualité et des conclusions de son évaluation économique préliminaire », a toutefois déclaré le président et chef de la direction, R. Bruce Duncan, dans un courriel transmis par son avocat québécois, ajoutant que l’évaluation de Canada Carbon a été préparée « sur la base d’une connaissance approfondie d’ententes et de contrats qui n’ont jamais été rendus publics et de discussions avec divers experts du secteur ».

Poursuite-bâillon ?

La Cour d’appel du Québec se penchera aujourd’hui sur le litige opposant Canada Carbon à Grenville-sur-la-Rouge.

La société minière a intenté une poursuite de 96 millions de dollars contre la petite municipalité des Laurentides, à qui elle reproche de lui faire perdre des revenus potentiels en bloquant son projet de carrière de marbre et de mine de graphite à ciel ouvert.

Le montant de sa poursuite équivaut à 16 fois le budget annuel de la municipalité de près de 2800 habitants.

Grenville-sur-la-Rouge estime qu’il s’agit d’une poursuite abusive et souhaite la faire rejeter par le tribunal, mais la Cour supérieure du Québec avait estimé en novembre qu’il était prématuré de qualifier le recours de « poursuite-bâillon ».

C’est l’appel de cette décision qu’entendra la Cour d'appel.

Ugo Lapointe craint qu’un rejet de l’appel crée un dangereux précédent, mais estime qu’il s’agirait d’un signal fort envoyé au gouvernement québécois démontrant la déficience des lois actuelles. « Hier, c’était Ristigouche, aujourd’hui, c’est Grenville-sur-la-Rouge, demain, ça va être qui ? »

Il avance que d’autres entreprises qui exploitent des ressources naturelles pourraient utiliser ce même genre de tactique chaque fois qu’elles n’obtiendraient pas l’acceptabilité sociale.

« On dirait que l’objectif ultime de cette compagnie-là, lance-t-il, c’est de se retirer du Québec avec une compensation financière que le gouvernement lui enverrait. »