Toronto, Vancouver, Montréal... Les villes canadiennes tentent tant bien que mal d'encadrer l'utilisation de plateformes comme Airbnb. À Québec, en attendant une meilleure solution, la Ville n'hésite pas à piéger des utilisateurs délinquants pour faire respecter la loi.

Des employés municipaux de la Ville de Québec se sont fait passer pour des touristes afin d'épingler ceux qui utilisent Airbnb pour offrir des services d'hébergement commercial sans autorisation. Cette technique d'enquête a porté ses fruits et mené à trois condamnations récentes à la cour municipale.

Le modus operandi est simple. Les employés municipaux n'attendent pas les dénonciations : ils se rendent directement sur la plateforme Airbnb comme n'importe quel touriste désireux de louer un appartement. Ils choisissent des offres qui semblent contrevenir aux règlements municipaux, puis réservent les appartements en utilisant un pseudonyme.

La technique fonctionne. Elle a permis d'épingler au moins trois hôtes d'Airbnb qui se sont vu imposer des amendes dans les derniers mois. L'un d'entre eux affichait à lui seul 12 logements à louer. Les cas se sont rendus devant la cour municipale. La Ville de Québec les a tous gagnés. Les fautifs ont été condamnés à des amendes de 1000 à 2000 $.

Le gouvernement du Québec a encadré l'hébergement de courte durée en 2016 avec le projet de loi 67. De nombreux hôteliers et aubergistes se plaignaient notamment de concurrence déloyale.

Certains utilisateurs d'Airbnb et de plateformes similaires, sous le couvert de l'économie du partage, gèrent de florissantes opérations commerciales sans payer les frais d'attestation d'un établissement d'hébergement touristique.

En clair, si vous louez votre logement principal pendant quelques semaines le temps d'un voyage, vous respectez la loi. Mais si vous offrez la location à court terme d'un logement secondaire à longueur d'année sans attestation, alors vous êtes dans l'illégalité.

De son côté, la Ville de Québec interdit la location commerciale de courte durée dans divers secteurs de son territoire.

Douze logements au même nom

C'est fort de ces lois et règlements que des employés de Québec pourchassent les contrevenants. Une employée municipale nommée Annie s'est ainsi fait passer pour une Marie-France, raconte une récente décision de la cour municipale.

« Marie-France » réserve les nuits du 23 au 25 mars 2018 dans un appartement du Vieux-Québec. L'hôte se présente comme Jean-Félix, étudiant en anthropologie à l'Université Laval « passionné par les voyages, la découverte de différentes cultures et les relations interculturelles ».

Or, Jean-Félix s'appelle en réalité Samuel. Il n'est pas le propriétaire du logement, mais le locataire. Il a à son nom pas moins de 12 offres de logements sur Airbnb, mais n'a pas d'attestation. La Cour l'a condamné le 29 août dernier à 1000 $ d'amende.

La même technique a été employée au moins deux autres fois par des employés municipaux, dans le Vieux-Québec et à Limoilou. La Ville a aussi gagné ces procès.

Le gouvernement québécois a aussi mis en place un groupe d'inspecteurs chargés de faire respecter sa loi. Ils agissent sous l'autorité du ministère du Revenu. Mais, manifestement, la Ville de Québec ne compte pas que sur eux et prend les devants.

Une porte-parole de la Ville de Québec, Audrey Perreault, n'a pas voulu faire de commentaires sur ces trois décisions ni sur les techniques d'enquête de ses employés. Elle a toutefois précisé qu'il y avait eu 102 constats d'infraction remis par la Ville pour des offres d'hébergement touristique sans autorisation en un an, soit de l'été 2017 à l'été 2018.

Selon David Wachsmuth, directeur de la Chaire de recherche du Canada en gouvernance urbaine, de plus en plus de villes utilisent des techniques d'enquête comme celle-là pour s'attaquer à l'hébergement de courte durée illégal.

« C'est simplement parce qu'Airbnb ne veut pas partager d'informations sur ses hôtes avec les gouvernements », explique ce professeur d'urbanisme à l'Université McGill, qui a écrit plusieurs articles sur Airbnb et les plateformes similaires.

« Les gouvernements devraient pouvoir connaître l'identité de ceux qui louent des logements à court terme sur leur territoire. C'est ridicule qu'ils doivent se résoudre à faire du travail de détective pour le savoir !  Mais c'est la réalité parce qu'Airbnb a choisi de préserver l'anonymat de ses hôtes. »

- David Wachsmuth, directeur de la Chaire de recherche du Canada en gouvernance urbaine

Une solution comme à San Francisco ?

Cet épineux dossier se retrouve actuellement devant les tribunaux aux États-Unis. La Ville de New York a adopté un règlement qui oblige les plateformes comme Airbnb à divulguer le nom et l'adresse de ses hôtes. Airbnb refuse, disant vouloir défendre l'anonymat de ses utilisateurs. La question sera tranchée par une cour fédérale.

À Québec, la Ville privilégie une approche de concertation. Un comité de travail mis en place par l'administration Labeaume a rendu ses conclusions en juillet dernier. Il recommande de créer un numéro d'enregistrement municipal pour les hôtes occasionnels d'Airbnb qui mettent en location leur résidence principale. Les utilisateurs commerciaux, eux, devront avoir une attestation provinciale comme le prévoit la loi.

Le groupe de travail recommande aussi de demander la collaboration des plateformes comme Airbnb pour obliger les hôtes à afficher ce futur numéro d'enregistrement. Il leur demande aussi de percevoir la taxe d'hébergement dès la réservation.

Inspirée par ces conclusions, la Ville de Québec va déposer son plan d'action cet hiver. En attendant, Airbnb se dit prête à collaborer avec les autorités.

« Nous sommes heureux de collaborer avec le groupe de travail de la Ville de Québec sur la location à court terme et nous allons continuer de travailler avec le gouvernement pour trouver des règles intelligentes et faciles à suivre », a expliqué dans un courriel Alexandra Dagg, directrice des politiques publiques à Airbnb Canada.

« Airbnb a souvent partagé des données avec les villes, cependant, il faut aussi prendre en compte dans la balance le droit à la vie privée de nos hôtes et les lois locales sur la vie privée. »

- Alexandra Dagg, directrice des politiques publiques à Airbnb Canada

Plutôt que l'approche frontale de New York, Québec semble privilégier celle de San Francisco. La ville californienne, où a été fondée Airbnb il y a 10 ans, s'est entendue en 2018 avec la plateforme pour créer un numéro d'enregistrement municipal.

Tout de suite après la mise en place de ce système, la ville a perdu près de la moitié de ses offres Airbnb - elles sont passées d'environ 10 000 à 5500 -, rapportait le San Francisco Chronicle il y a un an.

Le maire Régis Labeaume s'est souvent dit inquiet de l'impact des plateformes comme Airbnb sur le tissu urbain de sa ville, notamment dans les quartiers anciens.

« Mon projet dans le Vieux-Québec, c'est de ramener 500 personnes intra-muros. Alors, je ne peux pas laisser le Vieux devenir un Airbnb, ça ne marche pas. Il faut que je sois cohérent », a dit M. Labeaume en septembre 2017.