NAV Canada met à risque la sécurité du transport aérien en Abitibi-Témiscamingue et dans le Nord québécois pour des raisons financières, estime une coalition qui regroupe des élus et des gens d'affaires de la région.

L'organisme pancanadien de surveillance aérienne NAV Canada songe à supprimer ses services de nuit à l'aéroport de Rouyn-Noranda, actuellement offerts par un spécialiste de vol en chair en os, et à les remplacer par une station météo automatisée dont la fiabilité ne fait pas l'unanimité.

L'aéroport de Rouyn-Noranda est le troisième en importance dans la province, après ceux de Montréal et de Québec.

« C'est un non-sens pour nous », dit en entrevue la mairesse de Rouyn-Noranda, Diane Dallaire, qui dirige la coalition dont font partie des transporteurs régionaux comme Air Creebec, Propair et Pascan Aviation.

« Tant les transporteurs que les pilotes nous disent que le système proposé par NAV Canada n'est pas fiable à 100 %, dit Mme Dallaire. On les croit sur parole. »

Les stations AWOS (Automated Weather Observing System) envisagées par l'organisme fédéral sont utilisées avec succès dans près d'une centaine d'aéroports au pays, assure NAV Canada. 

« Pour l'instant, notre questionnement est motivé par l'achalandage à Rouyn-Noranda. On parle de seulement trois vols par nuit. » - Ron Singer, gestionnaire des relations avec les médias pour NAV Canada

Les aéroports dotés de stations AWOS au pays sont généralement de petite taille, comme ceux de Baie-Comeau, Trois-Rivières et Chibougamau. NAV Canada a recommandé le remplacement de bureaux météorologiques par des stations AWOS dans cinq aéroports au pays cet automne, dont ceux de Windsor et de Bathurst.

Des pilotes comme Anthony Lebailly, directeur des opérations chez Propair, soulignent que la précision des stations AWOS est parfois affectée par des conditions météo aussi rigoureuses que celles de l'Abitibi-Témiscamingue.

« Elles sont incapables de détecter la pluie verglaçante, par exemple, dit-il. Si on a besoin d'aide pour atterrir la nuit en Abitibi ou dans toute la Baie-James, le prochain être humain se trouvera aux aéroports de Timmins, Bagotville, Montréal ou Ottawa. »

Aux États-Unis, la Federal Aviation Administration reconnaît que les capteurs des stations AWOS ont une portée très limitée et que les aéroports les plus achalandés préfèrent habituellement leur adjoindre les conseils de spécialistes de vol.

CRAINTES POUR LA SÉCURITÉ

La direction de l'aéroport de Rouyn-Noranda déplore aussi que la fermeture des services de nuit forcera les équipages à communiquer directement avec le personnel au sol pour éviter toute collision, plutôt que de bénéficier de la supervision de la tour de contrôle.

« Nos employés doivent présentement obtenir l'autorisation des spécialistes de vol de NAV Canada avant de s'engager sur la piste », explique Marie-Reine Robert, directrice de l'aéroport.

« NAV Canada veut nous transférer cette responsabilité la nuit, mais nos employés n'ont pas la formation ni la compétence pour le faire. » - Marie-Reine Robert, directrice de l'aéroport de Rouyn-Noranda

Elle souligne entre autres que la plupart des travailleurs de l'aéroport ne parlent que le français, alors que les pilotes s'expriment souvent en anglais.

« La sécurité, c'est le résultat de la synergie entre les transporteurs, l'exploitant de l'aéroport et NAV Canada, dit-elle. Si on retire un seul maillon de cette chaîne, c'est la sécurité de tout le monde qui est compromise, incluant celle des passagers. »

« Si un avion veut se poser, il va avertir le personnel au sol environ 10 minutes d'avance, dit Anthony Lebailly, de Propair. Le pilote doit souhaiter que la personne qui est en train de déneiger la piste à bord de son véhicule - qui est bruyant - l'a entendu, que son matériel de communication fonctionne bien et qu'il parle anglais lui aussi... »

TRAFIC EN HAUSSE

Plus de 150 000 personnes transitent chaque année par l'aéroport de Rouyn-Noranda. Des sociétés comme Glencore, Goldcorp et Hydro-Québec l'utilisent aussi comme base d'opérations à destination du Nord québécois, et plus de 1000 évacuations médicales y sont effectuées chaque année.

« Le trafic y est en hausse de 13 à 15 % depuis deux ans », dit Marie-Reine Robert, qui s'étonne que ce projet survienne au moment où plus de 40 millions de dollars sont investis, notamment par le gouvernement fédéral, dans la réfection de l'aérogare.

Dans une lettre ouverte adressée au ministre fédéral des Transports, Marc Garneau, la coalition pilotée par la Ville de Rouyn-Noranda affirme qu'une telle décision nuira au développement économique et touristique de l'Abitibi-Témiscamingue.

« NAV Canada n'a pas respecté ses propres obligations inhérentes au processus de consultation », est-il écrit. 

« [NAV Canada] se doit d'effectuer une analyse des coûts-avantages lorsqu'une modification de service entraîne des conséquences économiques directes. Cette analyse n'a pas été réalisée. » - Extrait de la lettre ouverte adressée au ministre des Transports Marc Garneau

« La décision d'éliminer les services de nuit entraînerait une diminution des vols, ce qui freinerait non seulement le développement de l'Aéroport régional de Rouyn-Noranda, mais également celui de la région », ajoute la coalition dans sa lettre.

La société NAV Canada, qui est un organisme sans but lucratif financé par l'industrie aérienne, estime qu'elle épargnerait 250 000 $ par an en abolissant ces services.

Elle assure que la décision définitive n'a pas été prise et que le processus de consultation est toujours en cours. Une nouvelle rencontre est prévue aujourd'hui avec les représentants de la Ville et de l'aéroport.