La chasse à l'orignal dans la Réserve faunique des Laurentides se fait dans des conditions « délicates », voire « dangereuses » prévient le grand-chef de la Nation huronne-wendat Konrad Sioui, qui dénonce une multiplication des chasseurs dans certaines zones.

« La SQ était beaucoup plus présente cette année, parce qu'elle s'est aperçue que c'était une situation délicate. Ce sont plein de gens armés qui chassent la même bibitte. Ça peut être dangereux », dit M. Sioui en entrevue.

Les conflits entre chasseurs, surtout autour de l'orignal, très prisé, sont monnaie courante aux quatre coins du Québec. Mais le cas de la Réserve faunique des Laurentides est singulier parce qu'en plus des chasseurs non autochtones, tant les Hurons-Wendat que les Innus ont des prétentions sur le territoire.

Les autochtones disposent d'une fenêtre de trois semaines pour chasser l'orignal dans le parc des Laurentides. Elle commence à la fin de la période ordinaire de chasse, qui avait lieu cette année du 31 août au 30 septembre.

Or cette saison, déplore M. Sioui, des chasseurs non autochtones étaient encore dans le bois à la fin de la période prévue. Les chasseurs hurons et non autochtones ont dû cohabiter dans les zones de chasse pendant quelques jours, puis se sont ajouté des chasseurs innus venus du Lac-Saint-Jean.

« Il peut y avoir un groupe du Lac-Saint-Jean, un deuxième, pis un troisième ! Rajoute un groupe de Québécois et un groupe de Hurons-Wendat, explique M. Sioui. Quand on se ramasse avec trois groupes de chasseurs par zone, ça commence à être délicat. »

Photo David Boily, La Presse

Les conflits entre chasseurs, surtout autour de l'orignal, très prisé, sont monnaie courante aux quatre coins du Québec.

DEUX VISIONS DISTINCTES

Cette situation perdure depuis des années parce que ces forêts situées entre Québec et le Lac-Saint-Jean font partie du territoire ancestral des deux nations. Mais les Hurons-Wendat affirment avoir constaté plus de problèmes qu'à l'habitude cette année.

« Peut-être qu'eux autres [les Innus] n'ont plus beaucoup d'orignaux dans leur coin, qu'ils manquent de ressources, ça se peut. » - Konrad Sioui, grand-chef de la Nation huronne-wendat

« Ça ne se fait pas, aller chasser par-dessus les autres. Dans la Réserve faunique, les gens savent qu'on chasse, et là arrive du monde qui vient chasser à la même place que nous autres », dénonce M. Sioui, qui a demandé aux Hurons-Wendat de colliger les incidents de chasse cette année pour produire un rapport.

De leur côté, les Innus de Mashteuiatsh jugent que la situation fonctionne très bien comme ça. « On dit à nos chasseurs de nous rapporter s'il y a des événements. Cette année, on n'a rien à signaler. Cette année, ç'a bien été. On est pour la cohabitation », fait valoir Charles-Édouard Verreault, vice-chef du Conseil de bande de Mashteuiatsh.

Il rappelle que les deux nations ont mis sur pied une table de concertation pour discuter de cet épineux dossier.

CONDAMNÉS À S'ENTENDRE

Cette situation lors de la chasse à l'orignal perdure depuis des années dans la Réserve faunique des Laurentides. En 2012, Québec avait nommé l'ex-juge Louise Otis comme médiatrice. Un compromis avait été trouvé selon lequel les Innus chasseraient dans le nord de la réserve faunique, les Hurons, dans le sud. Mais cette entente n'a duré qu'un an, déplore Konrad Sioui, puisque les Innus ne l'ont pas renouvelée.

Les Innus font quant à eux valoir qu'ils n'ont aucune raison de limiter leur territoire de chasse. « Nous, on est là pour chasser l'orignal. C'est notre territoire ancestral, ce sont nos droits. C'est dans cette optique-là qu'on occupe l'entièreté de notre territoire », dit Charles-Édouard Verreault, qui ajoute que les Innus sont habitués à partager leur immense territoire avec des chasseurs non autochtones.

M. Sioui dit avoir sensibilisé à cet enjeu la nouvelle ministre des Affaires autochtones du Québec, Sylvie D'Amours.

Par la voix de sa chef de cabinet, la nouvelle ministre a dit vouloir prendre connaissance de l'ensemble du dossier avant de se prononcer.

« Le dossier auquel vous faites référence fait effectivement partie des sujets importants sur lesquels la ministre devra se pencher très prochainement. » - Maryse Picard, chef de cabinet de la ministre Sylvie D'Amours

Selon l'expert en droit autochtone et professeur titulaire à la faculté de droit de l'Université de Montréal Jean Leclair, les Innus et les Hurons-Wendat sont en quelque sorte condamnés à s'entendre sur cette question.

Les deux nations ont des revendications légitimes sur ce territoire. Or, note M. Leclair, les droits des Hurons-Wendat découlent du traité dit de Murray, lequel ne prévoit pas d'usage exclusif.

« Et la jurisprudence reconnaît que différentes nations autochtones peuvent exercer des droits ancestraux sur un même territoire, note-t-il. Bref, aucune des deux parties ne possède ici le droit d'exclure les revendications de l'autre. Il faudra donc que ça se règle à l'amiable. »

PHOTO RENAUD PHILIPPE, ARCHIVES LE SOLEIL

Konrad Sioui, grand-chef de la Nation huronne-wendat