Un conseiller municipal qui aspire à devenir maire de sa municipalité sera suspendu 90 jours sans salaire pour avoir menacé de bloquer le projet de promoteurs immobiliers à qui il réclame une part dans la vente de leurs terrains. Niant toute cette histoire, Pierre Leclerc compte porter en appel la décision de la Commission municipale du Québec.

Le chien de garde de l'éthique des élus municipaux a reçu une longue plainte contre Pierre Leclerc, conseiller municipal de Brownsburg-Chatham, une municipalité de 7200 habitants voisine de Lachute. Les juges administratifs Sandra Bilodeau et Martine Savard l'ont blanchi sur la majorité des manquements qui lui étaient reprochés, mais en ont retenu un, jugé très grave.

Elles ont conclu que Pierre Leclerc « s'est servi de son statut d'élu municipal pour menacer des promoteurs de ne pas obtenir les permis nécessaires pour leur développement immobilier s'il ne recevait pas sa juste rétribution ».

Depuis plusieurs années, Brownsburg-Chatham tente de développer sans succès un secteur, projet aujourd'hui connu sous le nom de Domaine de la sucrerie. Avant de devenir conseiller municipal en novembre 2013, Pierre Leclerc s'était associé à des investisseurs pour acheter ce lot et le développer. Il devait recevoir une commission d'au moins 70 000 $.

Mais peu après l'élection de Pierre Leclerc, l'un de ses partenaires, Robert Viger, s'est désisté du projet et a cédé les terrains à deux autres promoteurs, les frères Stéphane et Daniel Descostes. L'homme a choisi de se retirer après avoir été arrêté par la Sûreté du Québec et condamné à une peine de 36 mois de prison dans une vaste affaire de fraude.

MENACES

Craignant de ne pas toucher une part dans la transaction, Pierre Leclerc rencontre les frères Descostes dans un restaurant. Selon eux, il « a demandé une commission d'environ 6000 $ par terrain vendu dans le projet immobilier », relate la décision de la CMQ. Ceux-ci ont refusé, estimant ne pas être liés par l'entente de Robert Viger avec l'élu. Les promoteurs disent alors que l'élu les a menacés d'user de ses pouvoirs pour bloquer l'émission des permis nécessaires à leur projet immobilier.

Pierre Leclerc dément catégoriquement avoir fait de telles menaces. « En aucun cas je ne me suis servi de mon poste de conseiller municipal pour faire valoir mon point », assure-t-il. Mais oui, il compte toujours voir la couleur de l'argent auquel il estime avoir droit dans ce projet.

« Je vais laisser les frères Descostes développer, mais un jour ou l'autre, je vais les collecter. Je ne peux pas laisser tomber, je me suis fait flouer. Ce n'est pas une question d'élu, mais d'homme d'affaires. »

- Pierre Leclerc, conseiller municipal

Dans leur décision, les juges administratifs disent ne pas avoir de preuve que le conseiller est passé à l'acte avec ses menaces, les promoteurs ayant obtenu leurs permis. Mais « si l'élu est effectivement intervenu pour bloquer le développement, cela relèverait de l'extorsion et du harcèlement criminel », peut-on lire.

SANCTION PLUS LOURDE

La suspension de 90 jours imposée est plus lourde que la sanction de 60 jours suggérée par le procureur indépendant de la CMQ. Les juges administratifs estiment que le « comportement de l'élu se situe dans les plus hautes sphères de ce qui doit être banni » et veulent envoyer un message dissuasif aux autres élus.

CANDIDAT À LA MAIRIE

« Son jugement, elle peut se le fourrer dans le ... », répond Pierre Leclerc, lors d'un entretien avec La Presse. Le conseiller municipal compte porter en appel la décision qu'il estime biaisée puisqu'elle se base sur les témoignages contradictoires des frères Descostes.

Cette sanction survient alors que le conseiller Leclerc vient d'annoncer qu'il comptait être candidat à l'élection partielle à la mairie devant avoir lieu le 22 mai à Brownsburg-Chatham. Le maire Serge Riendeau, qui est à l'origine de la plainte contre le conseiller à la CMQ, vient en effet d'annoncer sa démission.

Malgré sa suspension, Pierre Leclerc maintient sa candidature à la mairie. « Mon but, c'est d'être maire jusqu'à ma retraite. C'est sûr que [la décision de la CMQ] va me compliquer la tâche, mais le monde qui me connaît sait que je ne suis pas un crosseur. »