Un projet conjoint de la police et des centres jeunesse de la Montérégie qui a fait ses preuves pour contrer l'exploitation sexuelle des jeunes filles a perdu une importante subvention du gouvernement du Québec. Du même coup, Longueuil a été contraint de réduire ses ambitions en matière de lutte contre les proxénètes, déplore la mairesse de Longueuil, Caroline St-Hilaire, en entrevue à La Presse.

« Le projet Mobilis est un projet extraordinaire, développé à Longueuil, dont le succès est reconnu. Il devrait être étendu à Montréal et à Laval, plutôt que de voir son budget réduit. Soyons aussi armés que le sont les prédateurs », lance la mairesse dans un vibrant cri du coeur, accompagné pour l'entrevue d'un officier du Service de police de l'agglomération de Longueuil (SPAL).

« Je ne veux pas donner l'impression d'encore quêter de l'argent à Québec [...] Mon message, c'est qu'il faut augmenter les ressources financières et humaines pour lutter contre ce fléau », poursuit la mairesse de la cinquième ville du Québec en importance.

« J'entends des histoires de policiers, de parents qui se sentent impuissants. Je ne peux pas rester inactive. »

Dans la première phase du projet Mobilis (2008 à 2011), huit enquêteurs spécialisés se consacraient à temps plein à la traque aux proxénètes. À l'époque, les policiers ont réussi à faire condamner une centaine de membres de gangs de rue en trois ans, certains pour des activités de proxénétisme et de traite de personnes. « On a eu un taux de succès de 100 %. Ils ont tous plaidé coupable », fait valoir le capitaine du SPAL Simon Crépeau.

De huit à deux policiers

En raison de récentes compressions budgétaires, il ne reste plus aujourd'hui que deux enquêteurs de Longueuil pour s'attaquer à la prostitution juvénile et ils ont été mutés dans une nouvelle équipe entièrement consacrée aux crimes à caractère sexuel. « C'est sûr que ça n'a pas la même ampleur que lorsqu'on avait un budget propre pour Mobilis », explique le capitaine Crépeau.

L'an dernier, le SPAL a ouvert une dizaine de dossiers relativement à des activités de proxénétisme. Parmi les accusés, une adolescente de 17 ans soupçonnée d'avoir fait du recrutement pour un gang de rue.

« Si on diminue la pression sur les proxénètes, c'est sûr qu'ils vont essayer par tous les moyens de gagner du terrain », souligne le capitaine Crépeau.

Des dizaines de filles à risque

Une centaine de mineures, dont 20 % ont moins de 14 ans, sont repérées chaque année par les intervenants des centres jeunesse de la Montérégie comme des adolescentes à risque d'« affiliation aux gangs de rue », explique Pascale Philibert, agente de planification de l'équipe Mobilis. Ce sont autant de jeunes filles qui risquent d'être entraînées dans des réseaux qui vont les violenter, les exploiter et même les vendre à d'autres réseaux, ajoute la travailleuse sociale.

« La question qu'on doit se poser comme société, c'est : est-ce qu'on choisit d'embarrer les victimes ou d'arrêter les proxénètes ? Si on a moins de pimps, ça va nous aider à travailler avec nos adolescentes en fugue », poursuit Mme Philibert.

« Souvent, les filles reviennent, elles racontent tout, mais elles ne sont pas conscientes d'avoir été victimes d'un crime. Ce sont les policiers qui leur font découvrir qu'elles ont été exploitées. »

Un projet couronné de succès

Les enquêtes de proxénétisme sont difficiles à mener puisque les jeunes victimes acceptent rarement de témoigner contre leur pimp. « L'un des grands succès de Mobilis a été d'amener ces jeunes filles là à témoigner au tribunal contre les membres de gangs qui les exploitent », fait valoir Mme Philibert.

Autre innovation propre au projet : une intervenante sociale en qui la jeune victime a confiance accompagne cette dernière au tribunal pour la soutenir. Mme Philibert se souvient d'une adolescente qui a été prise de panique au moment de croiser le regard de son agresseur à la cour. « Elle pleurait en répétant : "Je veux pus, je veux pus." Elle avait son sac dans la main. L'intervenante lui a expliqué qu'elle pouvait tout arrêter là, mais qu'elle ne devait surtout pas partir dans cet état. C'était concéder au pimp qu'il avait réussi à l'intimider », raconte-t-elle. L'intervenante a réussi à calmer l'adolescente. Cette dernière a décidé de poursuivre son témoignage et elle a fait condamner son proxénète, décrit Mme Philibert.

En manque de fonds

Depuis 2008, le projet Mobilis a reçu plus d'un million de dollars du gouvernement québécois via la défunte Conférence régionale des élus (CRÉ). La Ville et les centres jeunesse de la Montérégie déboursaient l'autre moitié des coûts du projet.

Or, pour 2016, la Ville soutient ne plus recevoir aucune subvention de Québec destinée au projet Mobilis. « Depuis que la CRÉ a été abolie, on reçoit encore de l'argent de Québec, mais beaucoup moins, et c'est un fonds global destiné à toutes sortes d'affaires, dont le développement économique, précise la mairesse St-Hilaire. En gros, on nous demande de faire beaucoup plus avec beaucoup moins. »

Conséquence : Longueuil doit puiser dans ses coffres pour soutenir le projet. La Ville injectera 245 000 $ au projet cette année pour le maintenir en vie, précise la mairesse St-Hilaire. « Ce n'est pas grand-chose. Je suis consciente qu'il faudrait plus d'argent, mais je n'en ai pas les moyens », ajoute-t-elle.

« Le projet n'est pas mort, mais on le maintient en vie modestement. Il n'est pas trop tard pour rallumer les braises. Je comprends que le gouvernement québécois a dû faire des choix, mais c'est un enjeu de société primordial », conclut la mairesse St-Hilaire.