En catimini et aux frais de la Ville de L'Assomption, le maire Jean-Claude Gingras a embauché des détectives privés de l'Ontario pour prendre en filature deux cadres. Coût de la facture : environ 14 000 $. Il voulait savoir si sa greffière en congé de maladie depuis six mois, Chantal Bédard, était vraiment malade. Il voulait savoir si quelque chose se tramait dans son dos. « C'était devenu trop gros », a-t-il dit hier après-midi, à l'enquête publique de la Commission municipale du Québec (CMQ).

Sur la foi d'une photo montrant la greffière dans un restaurant en compagnie de collègues, et après avoir eu recours à un malentendant pour interpréter la discussion, elle a été congédiée. Son adjointe a été destituée. Du même souffle, le maire a suspendu une conseillère en recrutement sans solde, puis un cadre de son service de loisirs, Mathieu Lagacé, pour des fins d'enquête, mais sans invoquer de motif.

« Le véritable motif, c'était que je voulais abolir le poste, a d'abord dit le maire aux juges de la CMQ. Je n'avais rien à lui reprocher. On a exigé ses clefs, son cellulaire a été vidé. On a barré ses accès à l'ordinateur, à ses courriels. Des indices me laissaient croire qu'il avait coulé de l'information à un hebdomadaire. »

Le procureur en chef, Me Joël Mercier, a alors demandé au maire Gingras s'il avait pensé une seule seconde aux conséquences de ses gestes.

« J'étais à l'aise, je suis encore à l'aise aujourd'hui. Ils étaient tous en train de me rendre malade. »

Son témoignage s'est poursuivi avec le cas d'un autre chef du service des loisirs qui était sur le point de passer sous le bistouri du maire. Toutefois, Rémi Richard a entamé son congé de maladie la veille de sa suspension. L'interrogatoire a pris fin après qu'il eut été question de photos de la filature qu'il a projetées sur écran à la fin d'une séance publique et publiées sur sa page Facebook. Il a refusé de les transmettre à la CMQ au motif qu'une enquête pour harcèlement est en cours à la Commission des relations de travail (CRT), mais il devra les fournir la semaine prochaine.

Un départ onéreux

L'enquête a aussi levé le voile sur le coût de l'entente confidentielle sur le départ du directeur général, d'abord suspendu avec solde par le maire Gingras. En l'absence de preuves de « faute lourde », la Ville a dû lui verser 350 000 $.

La veille de l'approbation de l'entente par le conseil municipal, le maire Jean-Claude Gingras signait un contrat de travail avec l'actuel directeur général, Jean Lacroix, dont les services de greffier adjoint avaient été retenus seulement deux semaines auparavant.

Le maire, qui avait déclaré que M. Lelièvre coûtait trop cher, n'a pas hésité à lui accorder le même salaire, environ 155 000 $, avec une contribution de 13 % à son régime de retraite. Le règlement municipal prévoit pourtant un maximum de 9 %, ce dont bénéficiait l'ancien directeur général.

« Je ne savais pas qu'il y avait un maximum de 9 % prévu par règlement avant que vous me l'appreniez le week-end dernier », a répondu avec aplomb le maire à Me Joël Mercier, procureur en chef.

Le maire s'est défendu en expliquant qu'il était urgent de conclure un contrat d'embauche parce que Jean Lacroix était sur le point d'en signer un avec le maire de l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal, Luc Ferrandez. Il n'a pas cru bon de lui faire passer des tests psychométriques, puisque M. Lacroix lui avait assuré avoir passé haut la main ceux de la Ville de Montréal.

« J'ai convaincu M. Lacroix de se joindre à nous en lui expliquant qu'il est un gars du 450, et qu'il serait un pion du 514 en tant que directeur à l'arrondissement », a-t-il poursuivi.

Les audiences reportées

Les audiences, qui devaient reprendre demain, sont reportées à mardi prochain en raison de ce qui peut être dit devant la CMQ en marge d'accusations criminelles pour abus de confiance contre le maire. La Commission débattra aussi des suspensions, congédiements et arrêts de travail qui feront l'objet d'audiences à la CRT. M. Gingras est accusé d'abus de confiance dans le cadre d'une poursuite de la Ville contre son entreprise, « une garderie pour chiens », qui est gérée par son fils. Il est aussi accusé au criminel pour la destitution d'un procureur de la cour municipale.