Comme un funambule, le maire intérimaire de Laval, Alexandre Duplessis, cherche l'équilibre entre la vision politique de son mentor Gilles Vaillancourt et la nécessité de faire place nette dans une ville marquée par les soupçons et la méfiance. Pour y parvenir, il s'appuie sur une fonction publique qui est en train de concocter une véritable révolution de palais.

Alexandre Duplessis accueille La Presse dans son bureau où, note-t-il avec fierté, rien n'a changé depuis la création de Laval, en 1965. Les lambris aux murs sont les mêmes; le pupitre de travail, massif et sombre, est celui où se sont succédé les maires jusqu'à Gilles Vaillancourt, parti dans la tourmente en novembre dernier.

Cette impression que Laval est immobile est d'autant plus importante que le noyau politique autour de M. Duplessis n'a pas bougé d'un iota: le comité exécutif, le chef de cabinet Pierre Lafleur et le conseiller politique Pierre Desjardins sont toujours en poste. En coulisse, on chuchote même que l'ex-maire a eu du mal à décrocher et a téléphoné régulièrement à l'hôtel de ville pendant plusieurs semaines.

Mais Alexandre Duplessis soutient n'avoir eu aucune communication avec son prédécesseur, sinon sur le perron de l'église, lors des funérailles de l'ancien maire Lucien Paiement (1973-1981), en janvier. M. Duplessis a alors salué Gilles Vaillancourt en l'appelant «Monsieur le maire».

C'est d'ailleurs la vision de Laval mise en place par ce dernier que M. Duplessis veut réaliser. «C'était dans les cartons. Moi, je vais entrer dans la phase de réalisation», indique-t-il.

Malgré tout, Alexandre Duplessis refuse d'être vu comme l'héritier de Gilles Vaillancourt. Il reconnaît que cela pourrait entacher sa crédibilité. «Je n'ai pas reçu le flambeau. J'ai repris le flambeau à terre», tranche-t-il.

Du même souffle, il affirme qu'il n'a trempé dans aucun système de collusion, de corruption ou de financement politique occulte, comme les prête-noms. Ça ne fait pas de lui un «naïf» qui se «bouche les yeux», insiste-t-il.

Puis, il décoche une flèche à Gilles Vaillancourt en remettant en question la probité de celui-ci. «Avec tout ce que j'entends, ce serait impossible de ne pas avoir de doute.»

Mais il laisse à la police et à la commission Charbonneau le soin de faire les démonstrations qui s'imposent. Ce qui intéresse Alexandre Duplessis, c'est de refermer les vannes des problèmes éthiques et de «bousculer» les façons de faire.

Si Laval est un marché fermé où une poignée d'entreprises se partageraient les contrats de la Ville, M. Duplessis promet qu'elles auront dorénavant «des bâtons dans les roues». Par exemple, les promoteurs n'ont désormais plus accès au maire seul à seul; toutes les rencontres d'affaires se font en présence de fonctionnaires qui connaissent les dossiers abordés.

De plus, la vente de terrains municipaux passe maintenant par un appel de candidatures. «Avant, il y a peut-être eu des façons de faire qui ont profité à des gens pour la spéculation. Ça ne marche plus comme ça!», assure le maire.

Selon lui, «c'est le timing idéal pour changer les choses» à Laval - y compris de «génération».

Révolution de palais

Le maire Alexandre Duplessis se fait le promoteur de grands changements dans l'administration lavalloise, auxquels s'attelle depuis plusieurs mois la direction générale. Le projet permettra notamment de reprendre les rênes dans les secteurs de l'ingénierie, des relations de travail et des communications.

Ce faisant, Laval s'attaque aux liens politiques étroits tissés au fil des décennies avec des firmes de génie comme Dessau (anciennement Desjardins-Sauriol), le cabinet d'avocats Dunton-Rainville et la firme de relations publiques National. Une révolution de palais? Le maire Duplessis ramène plutôt ça à du «management».

Selon des estimations conservatrices, Laval prévoit économiser au moins 1,7 million par année. Mais au-delà des chiffres, c'est surtout de rapatrier le savoir-faire qui importe. Jusqu'à maintenant, tous les travaux d'ingénierie ou presque étaient confiés au secteur privé. Cela incluait la définition des besoins de la Ville.

Concrètement, la planification des travaux de génie ainsi que la surveillance des chantiers seront assumées par la fonction publique lavalloise. Les plans et devis seront réalisés par les firmes privées. «On rapatrie le contrôle à l'interne. C'est une formule hybride. On va alterner selon l'évolution des dossiers pour un meilleur contrôle», explique le maire Duplessis.

Dans le dossier des relations de travail, Laval se dotera d'une équipe qui aura la responsabilité des dossiers de santé et de sécurité ainsi que des relations de travail. La gestion des programmes d'aide aux employés continuera d'être confiée à l'externe.

En ce qui concerne les communications, on créera un service de toutes pièces. La Ville attend d'avoir embauché la personne responsable pour terminer la réflexion.

Par delà ces trois chantiers importants, l'administration lavalloise prévoit apporter des changements profonds dans la gestion de ses services. «Les municipalités travaillent en silo. On veut tout briser ça à Laval. On commence le virage. Il y aura deux grands services: la planification et l'exploitation», indique Alexandre Duplessis.

Cette refonte administrative s'étendra sur au moins deux ans.

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Une ville sous haute surveillance

La Ville de Laval est sur l'écran radar du ministère des Affaires municipales (MAMROT), de l'escouade Marteau de l'Unité permanente anticorruption et de la commission Charbonneau.

L'automne dernier, une série de perquisitions policières à l'hôtel de ville et aux résidences du maire Gilles Vaillancourt ont précipité le départ de ce dernier. Le Journal de Montréal a révélé la semaine dernière que, depuis ce moment, des microphones auraient été installés à l'hôtel de ville.

«Il n'y a plus rien qui me surprend. Si on nous écoute, je n'ai rien à cacher. Ça ne m'inquiète pas», affirme le maire intérimaire Alexandre Duplessis.

Dans la foulée de cette tourmente, le MAMROT a décidé d'accompagner l'administration lavalloise; un vérificateur a été mandaté pour surveiller notamment l'attribution des contrats. Le maire Duplessis s'accommode fort bien de la situation. «On regardait Laval de haut, mais ce n'est plus le cas», affirme-t-il.

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Économies prévues grâce à la refonte administrative

250 000$ > En créant d'ici quelques mois un service de communication, Laval met fin à une relation d'affaires de 30 ans avec la firme de relations publiques National, qui empochait annuellement 500 000$. On prévoit des économies de l'ordre de 250 000$.

500 000$ > La Ville de Laval rapatrie les dossiers de relations de travail qui étaient entre les mains du cabinet Dunton Rainville - et en particulier de l'avocat Gilles Laporte, proche de l'ex-maire Gilles Vaillancourt. L'embauche de nouveaux employés a déjà débuté et se poursuivra jusqu'à la fin de l'année. Il s'agit d'économies de quelque 500 000$ avec la fin d'un contrat de 1,8 million par année.

1 million > L'administration lavalloise a décidé de regarnir son service d'ingénierie afin de reprendre le contrôle des projets, d'en assurer la qualité et, surtout, de ramener l'expertise dans ses rangs. Le processus est amorcé depuis un an, avec l'embauche de cinq ingénieurs. Six autres doivent être recrutés sous peu. De façon conservatrice, l'exercice devrait permettre des économies de 1 million.