Gaétan Turbide, ex-directeur général de la Ville de Laval, a maintenant des intérêts financiers dans une entreprise spécialisée dans le domaine de la réparation de conduites d'eau qui fait affaire avec la Ville, a constaté La Presse.

M. Turbide a quitté ses fonctions le 15 octobre 2008. C'était pour saisir «une excellente occasion d'affaires avec des conditions qu'aucun corps public n'aurait pu égaler», selon les affirmations du maire Gilles Vaillancourt dans le Courrier Laval.

L'année suivante, en 2009, le fonds Octopus, dont M. Turbide est entre-temps devenu actionnaire avec l'homme d'affaires Benoît Galland, a acheté l'entreprise lavalloise Aqua-Rehab pour 7,4 millions.

En 2007, 2008 et 2009, Aqua-Rehab a réalisé plus de 500 000$ de travaux pour la Ville de Laval. Aqua-Rehab était auparavant une filiale de Gaz Metro. La vente a été conclue le 11 août 2009, mais sa date effective a été fixée au 1er juin 2009, selon le rapport annuel 2009 de Gaz Metro.

L'entreprise de plus de 130 employés est spécialisée dans la réparation de conduites d'eau par «gainage structural». Cette technique permet de réparer les tuyaux sans les déterrer. Elle était en pleine croissance: son nombre d'employés a quadruplé entre 2004 et 2009. Gaz Metro affirme néanmoins avoir essuyé une légère perte lors de la vente et avoir voulu se concentrer sur le secteur de l'énergie.

Selon M. Turbide, l'occasion d'acquérir Aqua-Rehab s'est présentée en même temps que d'autres occasions qui ne se sont pas réalisées. «C'est un peu fortuit et ce n'est pas quelque chose qui était planifié», a dit M. Turbide, en entrevue à La Presse.

M. Turbide explique qu'Octopus est un fonds d'acquisition d'entreprises qui a été formé principalement avec les fonds de M. Galland pour saisir des occasions dans un contexte bien particulier.

«Au cours des 10 prochaines années, environ 25 000 entreprises devraient être sur le marché, souvent parce que leurs dirigeants sont des baby-boomers et qu'il n'y a pas de relève, explique M. Turbide. Nous, on est acheteurs.»

Benoît Galland est bien connu pour son entreprise d'autocars. Il est actionnaire majoritaire d'Octopus et M. Turbide, deuxième actionnaire. M. Turbide dit qu'il connaît M. Galland depuis longtemps.

Peu après sa démission de la Ville de Laval, M. Turbide a brièvement occupé un poste de direction dans une autre entreprise de M. Galland, Garival, qui distribue des appareils de perception pour les transports en commun et qui a la même adresse qu'Octopus.

En 2003, Garival a obtenu un contrat de 50,6 millions pour la fourniture de boîtes de perception pour autobus. Ce contrat était partagé entre la Société de transport de Montréal (STM) pour 45 millions et la Société de transport de Laval (STL) pour 5,6 millions.

À l'époque, M. Turbide était directeur général de la STL, poste qu'il a quitté en janvier 2004 pour devenir directeur général adjoint de la Ville de Laval.

M. Turbide dit que son association avec M. Galland «n'a rien à voir avec (ses) relations, ça a bien plus à voir avec (ses) compétences de gestion».

Il ne croit pas que son cas puisse être comparé à celui d'autres hauts dirigeants municipaux dont le passage au secteur privé a soulevé la controverse ces derniers temps. Un de ses prédécesseurs, Claude Asselin, a été embauché par la firme d'ingénierie Dessau, qui fait beaucoup affaire avec la Ville de Laval. La même firme avait aussi embauché Frank Zampino, ex-président du comité exécutif de la Ville de Montréal.

«Ce n'est pas la même chose du tout, dit M. Turbide. L'organisation Octopus et même Garival n'ont aucun lien d'affaires avec la Ville de Laval.» Et le contrat de la STL avec Garival? «Ça fait sept ans. Est-ce que vous êtes en train de me dire que parce que j'étais dans la fonction publique un jour, je ne pourrai jamais travailler dans le privé?»

«J'avais 45 ans quand j'ai quitté la Ville, dit-il. Si j'avais le goût de faire autre chose, c'était le temps.»

Il précise qu'il ne participe pas à la gestion d'Aqua-Rehab. Vérification faite, M. Turbide ne peut en effet être joint à cette entreprise et la téléphoniste ne connaît pas ses coordonnées.

À la Ville de Laval, on ne s'inquiète pas de voir que l'ancien directeur général a des intérêts financiers dans une entreprise qui fait affaire avec la Ville.

«M. Turbide est vice-président d'une société d'investissement qui s'appelle Octopus mais, au quotidien, ce sont les directeurs de l'entreprise Aqua-Rehab qui font affaire avec la Ville, et avec d'autres villes au Québec et en Ontario», dit Marc Laforge, porte-parole de la Ville de Laval.

«Dans le code d'éthique de la Ville, il n'y a aucune disposition particulière concernant le départ d'un directeur général», ajoute-t-il.

Le 7 avril 2009, quelques semaines avant la date officielle de la transaction entre M. Turbide, M. Galland et Gaz Metro, les gouvernements du Québec et du Canada ont lancé le programme PRECO (Programme de renouvellement des conduites d'eau potable et d'eaux usées), qui injecte 700 millions dans les chantiers de rénovation de réseaux d'eau municipaux en 2009 et en 2010.

À Laval, le 1er février, le maire Vaillancourt a annoncé la réfection de 30 km de conduites, des travaux d'environ 45 millions, dans le cadre de PRECO. Selon la Ville, environ 20% des travaux se feront par réhabilitation et 80% par remplacement. Bon an, mal an, Laval dépense de 60 à 100 millions pour la réfection de conduites d'eau.

«Les soumissions sont ouvertes à tout le monde, dit M. Laforge. Tout le monde est égal devant le travail qui est à faire, selon le cahier des charges. Personne n'a d'avantage particulier. Refaire une conduite dans une rue ou dans une autre, c'est du pareil au même.»