La mort de trois travailleurs dans le hameau de Desmaraisville a beaucoup affecté les mineurs et les gens de l'Abitibi. Le métier de mineur est dangereux, mais beaucoup moins qu'avant. À Val-d'Or, La Presse a visité la mine Goldex, qui est à la fine pointe de la technologie. Tous les Abitibiens vous le diront, les mines sont essentielles à l'économie de la région. Parlez-en aux 2700 habitants de Lebel-sur-Quévillon qui s'accrochent à la réouverture de la mine de zinc.

«Mon fils a travaillé dans notre mine sous terre. Est-ce que je vais envoyer mon fils dans un endroit dangereux?»

Yvon Sylvestre est directeur de la mine Goldex, à Val-d'Or. Comme tous les gens du secteur minier, il ne comprend pas comment l'accident à la mine du lac Bachelor a pu arriver. «On n'a pas les détails, mais c'est difficile à accepter.»

Les mineurs forment une communauté tissée serré. Tous sont ébranlés par la mort des trois collègues à Desmaraisville. À la mine Goldex, la plupart des 300 travailleurs connaissaient de près ou de loin l'un des trois hommes qui ont perdu la vie à 1500 pieds sous terre.

L'accident à la mine du lac Bachelor ne vient pas aider l'industrie minière, qui tente de se défaire d'une image associée au danger et à des pratiques nuisibles pour l'environnement. «La perception de notre industrie est mauvaise, admet M. Sylvestre. L'industrie se prend en main, mais la perception des gens est basée sur le passé.»

M. Sylvestre a accepté que La Presse visite sa mine, dont le puits va jusqu'à 865 mètres sous terre. En exploitation depuis août 2008, Goldex, propriété de la société torontoise Agnico-Eagle, est située en plein coeur de Val-d'Or. «Le Wal-Mart est à deux kilomètres et il y a des résidants à 200 mètres. Nous sommes obligés de faire les choses de façon différente», note M. Sylvestre.

Par exemple, les ventilateurs de la mine sont enfouis à 1000 pieds sous terre afin d'éliminer le bruit. Le minerai est également entassé sous un dôme pour éviter la propagation de la poussière.

Le conseiller à la formation Richard Rehel est notre guide durant la visite de la mine. Il nous montre d'abord le tableau des descentes, qui indique quels employés sont sous terre et à quel niveau ils se trouvent. Il nous emmène ensuite dans la salle de contrôle. Le coordonnateur, Yves Arseneau, est assis devant des dizaines d'écrans. «C'est le cerveau de la mine ici, indique M. Rehel. On voit toutes les caméras qu'il y a sous terre.»

L'ascenseur de la mine monte et descend à des heures précises. Tout passe par là. Même la machinerie lourde, qui est démontée puis rassemblée sous terre.

En quelques secondes à peine, nous nous retrouvons au 76e niveau, soit à 760 mètres de profondeur. Les couloirs sont grands et le plafond est haut, si bien qu'on a l'impression de marcher dans un édifice de roches.

Il y a des toilettes et des salles à manger, appelées «refuges». «Les employés viennent manger ici; mais s'il y avait un feu, par exemple, ils viendraient se réfugier ici. Il y a de l'air, de la glaise pour calfeutrer la porte, un téléphone, des bonbonnes d'eau et un défibrillateur cardiaque», énumère M. Rehel, lui-même fils d'un mineur de Murdochville.

La Belmoral

M. Rehel cogne ensuite à la porte de l'atelier électrique, qu'il appelle «le coeur de la mine». Jocelyn Girard est en train de travailler. L'accident survenu à Desmaraisville a ravivé en lui de douloureux souvenirs. «En 1980, j'étais à la mine Belmoral quand il y a eu le gros accident. C'était le soir du référendum, raconte-t-il. Honnêtement, ce sont des émotions. Le milieu de la mine, c'est familial, tout le monde se connaît. Quand il arrive un accident dans une mine, ça va chercher le monde.»

La tragédie de la mine Belmoral secoue encore les gens de Val-d'Or. Huit mineurs sont morts le soir du 20 mai 1980. Le plafond d'une galerie située sous un marécage s'est effondré, engouffrant dans la boue et la glaise près de 25 hommes.

Mais la sécurité dans les mines n'a rien à voir avec ce qu'elle était. «On faisait des choses il y a 25 ans qui sont aujourd'hui inacceptables», fait valoir M. Girard. Les mentalités ont aussi évolué. «Quand j'ai appris à conduire, on me disait de m'attacher, mais mon père ne s'attachait pas. Mais quand la loi est passée, il s'est habitué.»

«C'est marquant, ce qui est arrivé cette semaine, poursuit l'électricien. Mais le métier de mineur n'est pas plus dangereux que n'importe quel autre. Combien il y a eu d'accidents d'auto hier à la première neige?»

M. Girard pourrait «vendre» le métier de mineur à un claustrophobe. «J'adore mon métier. On ne fait jamais la même chose. Moi, je n'ai jamais manqué une journée d'ouvrage. Au chômage, ils ne connaissent pas mon nom. Mon fils s'en vient dans le milieu de la mine aussi, souligne-t-il fièrement. Il a travaillé tout l'été dans le nord à la mine de Meadowbank. Il aime ça.»

Les emplois miniers sont payants. Les mineurs de la Goldex (non syndiqués) gagnent environ 70 000$ par année, et cela peut atteindre 100 000$ avec les primes et les heures supplémentaires.

«Compte tenu de notre scolarité, il n'y a pas grand-chose d'aussi payant. Pas besoin d'aller à l'université pour travailler sous terre, blague l'opérateur Alain Thériault, 31 ans, dont le boulot consiste à forer les trous où sont insérés les explosifs. Mais je ne le fais pas pour l'argent. Je viens de finir un trou de 87 mètres.»

La mine Goldex extrait environ 2,5 millions de tonnes de minerai par année, ce qui donne 160 000 onces d'or. «La teneur en or est basse: deux grammes par tonne», indique Richard Rehel.

Seulement quelques employés et un gardien de sécurité ont accès à la salle où l'or, pur à environ 95%, est coulé. Quant aux lingots, ils sont directement acheminés à la Monnaie royale canadienne.

Un «modèle»

Goldex appartient à Agnico-Eagle, propriétaire de deux autres mines en Abitibi. «C'est vraiment un modèle», indique André Lavoie, directeur des communications de l'Association minière du Québec (AMQ).

Il ne peut en dire autant de Century Mining, qui a fermé la mine Sigma l'an dernier sans verser les 350 000$ en salaires dus aux employés. Québec a par ailleurs suspendu le permis de la mine avant-hier, car la société n'a versé que 293 000$ des 3,5 millions qu'elle doit au gouvernement pour la restauration des lieux.

Agnico-Eagle est, pour sa part, reconnue pour ses initiatives environnementales. Goldex a un partenariat avec le gouvernement du Québec pour déverser ses résidus dans l'ancien site abandonné de Manitou, dont les apports acides ont pollué la rivière Bourlamaque. «Nos résidus sont alcalins, donc ils ont un pouvoir neutralisateur», indique Yvon Sylvestre.

Goldex est aussi citée en exemple au chapitre de la sécurité de ses travailleurs. Mais même une mine «modèle» comme Goldex n'est pas totalement à l'abri d'un accident. L'an dernier, un homme est mort. Une poutre s'est effondrée sur lui à la surface de la mine.

Agnico-Eagle n'a pas été tenue responsable par la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST). «Des événements comme ça sont dramatiques. Je l'ai vécu une fois et je ne veux surtout pas le revivre», indique M. Sylvestre.

«Tous les jours, il y a des risques qui nous guettent, souligne le directeur de la mine Goldex. Mais quand il se produit quelque chose comme ce qui est arrivé à Desmaraisville, c'est difficile à accepter.»

«C'est déplorable. Mais cela arrive à un moment où l'industrie connaît sa meilleure année sur le plan des accidents, indique M. Lavoie, de l'AMQ. Depuis 20 ans, la fréquence des accidents dans le travail minier a diminué de 75%.»