Depuis que les Québécois ne croient plus à la vie éternelle, ils cherchent à vivre le plus longtemps possible, ici, sur terre.

Pour Marie-Ève Garand, c'est ce qui offre un marché lucratif aux gourous de la santé. «De nos jours, on ne cherche plus à être saint, mais à être sain, sans le t. Le culte de la santé est LA religion de l'heure», analyse la théologienne, qui a dirigé le Centre d'information sur les nouvelles religions de l'Université de Montréal.

«On pensait qu'une fois que Dieu serait mort, on serait plus libres, rappelle-t-elle. Mais d'autres impératifs sont apparus pour nous réguler. Il faut bien manger, il faut être en forme, être heureux, faire attention à son corps... Je ne suis même pas certaine que les gens sont conscients de leur quête.»

La jeune femme y voit le symptôme d'une crise idéologique plus large. Aujourd'hui, dit-elle, on se déresponsabilise relativement à sa détresse, et on recherche de façon «incessante, voire obsessionnelle», des explications et traitements médicaux.

Autre explication: le désir de ne pas être traité comme un simple numéro. «La personne qui apprend qu'elle souffre d'une maladie potentiellement mortelle est en état de choc. Ce n'est pas seulement un corps à soigner, elle a besoin d'être écoutée. Si l'on humanisait les soins à l'hôpital, les patients auraient moins besoin d'aller à l'extérieur», estime Mme Garand.

Les nouvelles approches répondent à un autre besoin, dit-elle. «De tout temps, l'humain a cru qu'il avait deux dimensions, qu'il n'était pas qu'un corps, mais aussi une âme. L'avantage de ces groupes, c'est qu'ils prétendent prendre aussi en charge la psyché. Ils déplacent le lieu de la maladie du corps à la tête.» Les gens ont alors l'impression d'avoir prise sur leur maladie, d'être partie prenante de la guérison. Ils y voient l'occasion de transformer leur vie.

Malheureusement, ils ne sont pas toujours conscients de la philosophie derrière le discours, constate Mme Garand. «Ce n'est pas la même chose de croire que les cellules sont programmées par les vies antérieures, ou que le stress moderne ou un conflit psychologique les rend cancéreuses, souligne-t-elle. Il faut se poser des questions.»

Pour Marc Zaffran - un médecin et chercheur devenu bioéthicien et écrivain -, «le grand atout des guérisseurs, c'est que les médecins ne peuvent en adoucir la réalité de la vie et de la maladie». «C'est sur cela que les guérisseurs tablent, dit-il. Eux vous laissent dire ce que vous souhaitez le plus, pour ensuite vous le promettre.»

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La détresse, signe vital

Il y a moins d'un an, le gouvernement du Québec a reconnu l'importance d'avoir, dans les hôpitaux, des intervenants en soins spirituels, qui ne sont rattachés à aucune religion particulière. Une grande première au Canada.

«C'est vital d'apaiser la détresse des malades, et le corps médical n'a pas toujours le temps », observe Fernand Patry, du Centre hospitalier universitaire de l'Université de Montréal.La détresse affaiblit la capacité d'affronter la maladie et ses symptômes, concluait l'an dernier le Comité d'oncologie psychosociale rattaché au ministère de la Santé du Québec. Cet impact est si réel, qu'il faut pour lui considérer la détresse comme un signe vital à part entière (avec la température, le pouls, la pression artérielle, la respiration et la douleur).

M. Patry et une quinzaine de collègues visitent donc les chambres des patients sur le point de mourir ou de subir une intervention majeure. Leur but : les aider, ainsi que leurs familles, à traverser la tempête. On tente de les apaiser en abordant avec eux les questions fondamentales de la vie, explique l'accompagnant.