Thomas, 3 mois, gazouille sur son tapis d'éveil au milieu du salon. Une table à langer trône dans la cuisine. Sur la commode traînent quelques jouets, des vêtements de bébé, de petits souliers.

Cette maison du quartier Sainte-Rose, à Laval, pourrait être celle de n'importe quel couple de trentenaires. Sauf que la propriétaire, Louise De Bellefeuille, a eu 30 ans il y a longtemps déjà.

«J'ai 55 ans, 56 en décembre», affirme fièrement la maman de Thomas, qui a réalisé un rêve de longue date en donnant naissance à son premier enfant, le 23 mai.

La Lavalloise n'a pas ménagé les efforts (ni les dépenses) pour y arriver. Après un essai infructueux à la clinique Procrea de Québec, début 2010, elle a voulu de nouveau tenter sa chance à l'été. Le programme de gratuité des traitements de fécondation in vitro (FIV) était sur le point d'entrer en vigueur au Québec.

«Le médecin m'a dit qu'il y avait beaucoup de demandes à cause de la gratuité et que ça pourrait prendre jusqu'à deux ans avant que je sois traitée, résume Mme De Bellefeuille, qui avait 53 ans à l'époque. J'étais à l'âge limite.»

Pour des raisons «éthiques et médicales», la plupart des cliniques en Amérique du Nord n'acceptent pas de pratiquer la fécondation in vitro avec don d'ovules sur des femmes qui ont passé l'âge moyen de la ménopause (environ 52 ans), selon le Dr François Bissonnette, directeur médical de la clinique OVO et médecin au CHUM. Il ne s'agit pas d'une loi, mais d'un guide de bonne pratique médicale.

Louise De Bellefeuille a communiqué avec Elite IVF, agence qui organise des services de fécondation in vitro à l'étranger. Elite IVF accepte d'évaluer les dossiers des femmes de tout âge, selon son directeur général, David Sher. «Nous vérifions qu'elles sont en bonne santé et capables de mener une grossesse à terme. Les femmes qui finissent par recevoir le traitement sont, tout au plus, au début de la cinquantaine», explique-t-il. Mme De Bellefeuille est la patiente la plus âgée qu'il ait eue.

Elite IVF a dirigé Louise De Bellefeuille vers une clinique de Mexico. Elle a pu choisir une donneuse d'ovules dans une liste, car, contrairement au Canada, il est légal de rémunérer des donneuses au Mexique. «C'est elle qu'on a choisie, raconte-t-elle en tendant la photo d'une Mexicaine de 23 ans. Je trouvais qu'elle avait l'air zen. Il le fallait parce que moi, je ne suis pas zen du tout!»

Son premier essai s'est soldé par une fausse couche. Un coup dur. «J'ai dû convaincre mon chum que j'avais droit à une troisième chance», poursuit-elle. La troisième a été la bonne.

Des mères plus âgées

Au Québec, de plus en plus de femmes ont des grossesses tardives. L'an dernier, plus de 2500 femmes de 40 ans et plus ont eu un enfant, dont 107 femmes de 45 ans et plus. C'est deux fois plus qu'il y a 10 ans.

La maternité après 50 ans est plus rare: 10 Québécoises dans la cinquantaine ont enfanté l'an dernier. Le phénomène est marginal, mais il prend de l'ampleur: de 1990 à 2002, on ne compte que trois quinquagénaires parmi les nouvelles mamans.

«De plus en plus de couples consultent pour une hypofertilité liée à l'âge, constate la Dre Patricia Monnier, professeure agrégée à l'Université McGill et obstétricienne-gynécologue au Centre de reproduction McGill. Pour des raisons multiples, les patientes ont envie d'une grossesse plus tardive. C'est une évolution de société évidente.»

Certaines femmes souhaitent établir leur carrière ou encore trouver l'âme soeur avant d'avoir des enfants. D'autres, comme Louise De Bellefeuille, ont fréquenté des hommes qui ne voulaient pas d'enfants à l'époque où elles étaient fertiles.

«Ça peut paraître bizarre, une patiente de 48 ans enceinte alors qu'elle pourrait être grand-mère, mais je pense que ce sera la tendance naturelle», croit le Dr Jacques Kadoch, directeur médical de la clinique de procréation assistée du CHUM.

Annabelle (nom fictif), 50 ans, a longtemps vécu avec un homme qui avait déjà des enfants et qui n'en voulait plus. Elle avait 45 ans lorsqu'elle a rencontré son conjoint actuel. Et celui-là voulait absolument un enfant.

«Nous avons essayé d'en avoir un de façon naturelle, mais ça ne fonctionnait pas, raconte Annabelle. Chez Procrea, le médecin a été assez direct: il m'a dit que je rêvais en couleur et que mes ovules n'étaient pas bons.»

Annabelle avait une option: la FIV avec don d'ovules. Comme il était compliqué de trouver une donneuse au Québec, Annabelle et son conjoint ont versé 19 000 $ US à Elite IVF pour le traitement et le transfert d'embryons au Mexique. Enceinte dès le premier essai, elle a donné naissance cet été à un garçon en parfaite santé.

Peu importe l'âge des receveuses, le taux de succès est très élevé lorsqu'il y a don d'ovule, car les donneuses sont jeunes et fertiles. «Quand on cumule les taux de grossesse avec embryons frais et congelés, on dépasse les 70%», souligne le Dr Kadoch.

Toutefois, avoir un enfant après 40 ans est plus risqué. À la fin de sa grossesse, Annabelle a reçu un diagnostic d'hypertension, ce qui peut évoluer vers l'éclampsie, une complication grave et parfois mortelle. Les médecins ont provoqué son accouchement à 36 semaines.

Louise De Bellefeuille a vécu une belle grossesse jusqu'à la fin, mais les semaines qui ont suivi son accouchement ont été pénibles. Anémie, hypertension, étourdissements... elle a dû être hospitalisée quelques semaines.

Outre l'aspect médical, la maternité tardive pose aussi une question éthique: celle du nombre d'années que la mère pourra consacrer à son enfant. «Je me fais parfois demander si je suis la grand-mère du petit, souligne Annabelle, qui vit dans la région de Québec. Quand il aura 18 ans, j'en aurai 68. C'est quelque chose. Heureusement, mon conjoint est plus jeune que moi.» Pour éviter les commentaires désobligeants, le couple a d'ailleurs décidé de ne pas parler de ses démarches de fécondation in vitro à ses proches.

Louise de Bellefeuille rappelle que l'espérance de vie augmente de jour en jour. «Quand j'aurai 75 ans, il en aura 20, dit-elle, en jetant un regard sur son poupon endormi au creux de ses bras. À 75 ans, les femmes sont encore jeunes. Et à 20 ans, il aura déjà un bon bout de fait.»

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Un débat sur l'âge

Depuis deux ans, la plupart des cliniques de fertilité ne pratiquent plus de fécondation in vitro avec les propres ovules des femmes de plus de 43 ans. Une clinique continue de le faire: le Centre de la reproduction de Montréal.

Les cliniques ont pris cette décision après l'entrée en vigueur du programme de gratuité des traitements de fécondation in vitro au Québec, en août 2010.

«Nous voulions utiliser les fonds publics à bon escient», explique le Dr Hananel Holzer, directeur médical du Centre de reproduction McGill. Les taux de grossesse sont très faibles après 43 ans. Seulement 4% des quelque 230 patientes de plus de 43 ans traitées au Centre de reproduction McGill avant 2010 ont eu un bébé.

Plusieurs dizaines de femmes ont donc été refusées au début du programme en raison de leur âge. Elles avaient une autre option: la fécondation in vitro avec don d'ovules, qui offre de meilleurs taux de succès.

Le Centre de la reproduction de Montréal, boulevard Décarie, continue toutefois de traiter les femmes de tout âge «en fonction de chaque situation», explique son directeur médical, le Dr Seang Lin Tan.

Le Dr Tan souligne que l'âge n'est pas l'unique critère pour évaluer la fertilité. Les taux d'hormones et le nombre de follicules importent aussi, dit-il. «Ça vaut la peine d'essayer. Même si le traitement ne fonctionne pas, ces femmes auront au moins tenté le coup et ce sera ensuite plus facile pour elles d'accepter le don d'ovules.»

Procrea n'a pas rappelé La Presse. Le Centre de fertilité de Montréal, boulevard De Maisonneuve, a refusé de dire quelle est sa limite d'âge.

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Des risques accrus

Avoir une grossesse après 43 ans est possible, «mais ce n'est pas anodin», affirme la Dre Patricia Monnier, du Centre de reproduction McGill.

Les femmes sont d'abord évaluées pour s'assurer qu'elles sont en bonne santé et capables de porter un enfant. Les organes doivent travailler de 20 à 25% de plus pendant la grossesse, souligne la Dre Monnier.

Les patientes ménopausées doivent prendre des suppléments d'hormones avant l'implantation de l'embryon et poursuivre le traitement jusqu'à la 10e semaine de grossesse environ. Le placenta produit ensuite lui-même les hormones.

Ces grossesses doivent être suivies de près. Après 40 ans, les femmes sont plus sujettes au travail précoce, au diabète, à l'hypertension et à la mort maternelle. Les risques augmentent encore plus après 50 ans, selon une recherche du Centre médical Sheba, en Israël.

Lorsque la fécondation in vitro est réalisée avec les propres ovules des femmes, les risques d'anomalie génétique et de fausse couche augmentent de façon exponentielle avec l'âge. «Quand l'âge du père suit l'âge de la mère, les risques se multiplient», précise la Dre Monnier.

Un point positif: plus la mère est âgée, plus l'enfant réussit bien aux tests d'intelligence, selon une étude réalisée à l'Université de l'Iowa. Les femmes plus âgées vivent souvent dans de meilleures conditions socio-économiques.

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Une nouvelle technique de congélation des ovules

Le don d'ovules devient beaucoup plus accessible au Canada grâce à une nouvelle technologie de congélation ultrarapide: la vitrification. Depuis peu, il est possible de commander des ovules congelés aux États-Unis, où il est légal de rémunérer les donneuses. Les cliniques canadiennes peuvent les utiliser en toute légalité. «La vitrification a amélioré de façon considérable le pronostic de la congélation, explique le Dr Jacques Kadoch, du CHUM. Les patientes n'ont donc plus besoin de faire du tourisme reproductif.» La vitrification pourrait permettre de remarquables avancées scientifiques: «Je suis persuadé que, dans quelques années, on va pouvoir vitrifier des fragments ovariens chez une femme jeune et les replacer plus tard pour repousser l'âge de la ménopause, croit le Dr Kadoch. Ce n'est pas de la science-fiction: dans les congrès, on le voit.»

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FIV au Québec: nombre de cycles (tentatives de FIV) en 2011

Moins de 35 ans: 1957

35 à 39 ans: 1679

40 ans et plus: 1243

Note : chaque femme a droit à trois cycles selons les normes du gouvernement.

Photo: Reuters