La lutte contre le cancer est une véritable course contre la montre. Pour les médecins qui s'attaquent à ce fléau, chaque jour compte. Grâce à un don d'un milliardaire montréalais, une équipe médicale du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) est parvenue à réduire de près de 25% l'attente avant d'être traité pour le cancer du poumon. Leurs efforts montrent qu'une réorganisation profonde du travail permet de réduire substantiellement les délais en santé. Les résultats de ce projet-pilote sont présentés aujourd'hui dans La Presse pour la première fois.

Lorsque le chirurgien David Mulder a mesuré pour la première fois au Québec les délais que les patients doivent endurer avant d'être traités pour le cancer du poumon, il a ressenti de la honte.

Une étude approfondie des admissions à l'Hôpital général de Montréal sur une période de 10 ans a montré qu'il s'était écoulé en moyenne 208 jours entre la première consultation avec un médecin de famille pour des symptômes du cancer du poumon et le moment de subir l'intervention chirurgicale. Une éternité, puisque après 112 jours, une tumeur a généralement doublé de volume et 20% des patients voient leur stade s'aggraver. «Lorsque nous avons publié l'article, j'étais embarrassé, raconte le Dr Mulder. Je pense que ça a ouvert les yeux de tout le monde.»

Le cancer du poumon tue 20 000 Canadiens par an. Cette année, environ 8100 Québécois recevront un diagnostic de la maladie. La plupart d'entre eux auront à s'engouffrer dans un labyrinthe au sein du système de santé, victimes d'un véritable jeu de ping-pong d'un spécialiste à l'autre.

Le Dr Mulder, connu auprès du grand public comme le médecin officiel du Canadien de Montréal, semble avoir retenu quelques leçons des joueurs du Tricolore. «Le traitement du cancer, c'est un sport d'équipe. Si notre allier gauche et notre défenseur sont sur le banc, on ne pourra pas compter des buts!»

La nouvelle stratégie du CUSM consiste à asseoir tous les spécialistes à la même table autour d'un même cas. De huit à dix médecins se rassemblent chaque semaine pour évaluer les cas et établir l'ordre dans lequel les patients passeront leurs tests. Une archiviste médicale et une adjointe administrative s'assurent ensuite que le délai maximal passé à patienter sur la liste d'attente pour chaque test a été respecté. Une infirmière pivot est attitrée à chaque patient pour l'aider à s'y retrouver. Des plages horaires pour passer un examen de tomodensitométrie (scan) sont prévues le week-end à l'hôpital Royal Victoria pour les cas très urgents.

Environ 1000 cancéreux sont suivis par l'équipe. Avant le lancement du projet-pilote, le délai moyen entre la première rencontre avec le premier spécialiste (généralement un pneumologue) et le début du traitement a été mesuré à 76 jours. En 2011, il avait chuté à 58 jours. La cible médicale canadienne est de 4 semaines (28 jours). Néanmoins, l'équipe du CUSM est très satisfaite des résultats.

«Nous avons gagné 18 jours après un an. Ça peut paraître peu élevé, mais c'est une amélioration de près de 25% dans les temps d'attente, souligne le Dr Jonathan Wan, radio-oncologiste et collègue du Dr Mulder. A priori, ce genre d'intervention peut sembler mineure, mais elle ne l'est pas. Le système de santé du Québec n'est pas construit pour bouger très rapidement. La logistique entourant la réduction des délais est énorme parce que notre système demande qu'un patient soit recommandé par un autre spécialiste à chaque stade du processus.»

C'est un don du milliardaire montréalais Stephen A. Jarislowsky qui a permis, en 2010, la mise sur pied de ce projet-pilote à l'Hôpital général de Montréal, appelé le Centre de navigation du cancer du poumon, en partenariat avec l'ouverture d'une clinique d'investigation rapide à l'Institut thoracique de Montréal en 2011.

Le cancer du poumon est généralement traité par trois médecins: le chirurgien, l'oncologiste et l'expert en chimiothérapie. Parfois, un radio-oncologiste s'ajoute. Dans la majorité des cas, le patient doit aller voir trois ou quatre spécialistes, l'un à la suite de l'autre, avant de pouvoir recevoir un traitement. Ces visites sont entrecoupées d'une multitude de tests (bronchoscopies, biopsies, tomodensitométrie, PET-Scan, imagerie par résonance magnétique). À chaque test sa liste d'attente. À chaque spécialiste aussi.

«Dans notre système de santé, un délai de deux semaines pour avoir un rendez-vous avec un spécialiste n'est pas considéré comme étant long, c'est même considéré comme étant fantastique! lance le Dr Wan. Un délai de quatre semaines est plutôt réaliste, mais ça peut aller jusqu'à six semaines. Étant donné qu'un patient est recommandé à trois ou quatre reprises, faites le calcul. C'est très, très long.»

Le cancer du poumon est l'un des cancers qui progressent le plus rapidement, dit-il. «La progression d'une tumeur entre la 4e, la 8e et la 16e semaine est respectivement de 10%, 25% et 50%, explique-t-il. Durant les mêmes périodes, 4%, 13% et 21% des patients voient leur cancer passer à un stade supérieur. Concrètement, ça signifie que le cancer passe d'un stade où il peut être guéri à un stade incurable ou opérable à un stade inopérable.»

La mise en place de cette nouvelle procédure permet aujourd'hui de véritables miracles en ce qui concerne les délais. La semaine dernière, un patient a été dirigé vers l'Institut thoracique de Montréal avec de graves difficultés de respiration. Les examens ont révélé qu'une tumeur de la grosseur d'un pamplemousse s'était logée à l'intérieur de son poumon. Le jour même, une biopsie a été réalisée. Le lendemain matin, tout était en place pour que le patient commence ses traitements de radiothérapie, car la maladie était rendue à un stade trop avancé pour faire une intervention. En 42 ans de pratique de la médecine, le chirurgien David Mulder n'a jamais été témoin d'un délai aussi rapide en matière de cancer.

Encouragé par les premiers résultats, le CUSM a décidé d'élargir le programme aux cancers de l'oesophage et de la vessie.

Les résultats ont retenu l'attention de l'agence de la santé de Montréal, qui a financé une partie du projet. L'agence a demandé au CUSM de rédiger un guide pour expliquer comment faire démarrer un tel projet. Une rencontre est prévue plus tard cet été pour voir de quelle manière le projet pourrait être implanté dans d'autres établissements montréalais.

«Avant cette expérience, nous n'avions aucune idée des délais réels, rapporte le Dr Wan. Ce fut très révélateur. Ça rend aussi notre pratique beaucoup moins frustrante.»