Pour la première fois au Québec, un hôpital a fonctionné sans la présence d'un pharmacien durant une journée. Une situation qui préoccupe grandement l'Ordre des pharmaciens du Québec et qui risque de se reproduire au cours de l'été si le gouvernement n'agit pas d'urgence pour pourvoir les 275 postes de pharmaciens vacants dans le réseau, avertit l'Association des pharmaciens des établissements de santé du Québec (APES).

L'affaire est survenue le 5 avril dernier, de 8 h à 16 h, à l'hôpital de Sainte-Anne-des-Monts, en Gaspésie. Le petit établissement de santé compte 29 lits. La pharmacie de l'hôpital dessert également un CHSLD de 76 places.

Ce jour-là, la seule pharmacienne de l'hôpital a dû s'absenter pour invalidité. Comme le second pharmacien de l'hôpital a quitté son emploi en mars, c'est un assistant technique qui ne possède pas de diplôme universitaire en pharmacie qui a dû assurer le service durant son absence.

«C'est inconcevable», a déploré Diane Lamarre, présidente de l'Ordre des pharmaciens du Québec, dont la mission est d'assurer la protection du public. «C'est comme si un hôpital fonctionnait sans médecin. C'est exactement la même chose.»

Selon Mme Lamarre, il s'agit d'un précédent. Cette situation ne s'est jamais produite au Québec. «Dans une décision rendue dans les années 2000, le Conseil des services essentiels a décrété que le pharmacien d'hôpital était un service essentiel pour la population, a précisé Mme Lamarre. Il ne faut plus jamais que ça arrive. Il faudrait toujours qu'il y ait un plan de relève dans ce genre de situation.»

Les dirigeants de l'APES, le syndicat qui représente les pharmaciens en milieu hospitalier, affirment que cette situation aurait pu compromettre la santé des patients.

«Si quelqu'un se rend à la pharmacie de quartier et qu'il n'y a pas de pharmacien présent, il ne pourra pas avoir de médicaments. Dans un hôpital, on le ferait alors que les situations sont plus complexes et plus compliquées?», s'interroge Charles Fortier, président de l'APES. «Un technicien est capable de lire une ordonnance, mais il n'est pas capable de l'interpréter, explique-t-il. Il ne comprend pas les indications. Il ne sait pas comment l'ajuster en fonction de l'âge ou du poids, ou de la fonction rénale ou hépatique.»

À l'hôpital, on admet qu'il n'y a pas eu de pharmacien le 5 avril dernier, mais que différentes mesures ont été mises en place pour assurer la sécurité des patients. Marjorie Pigeon, responsable des communications au centre de la santé et des services sociaux de la Haute-Gaspésie, explique qu'on a demandé aux médecins de réduire leurs ordonnances au maximum ce jour-là et qu'un pharmacien du secteur privé était de garde par téléphone pour les urgences.

Selon l'APES, cette situation s'inscrit dans le cadre de la pénurie de pharmaciens qui sévit actuellement dans le système de santé. Environ 275 postes ne sont pas pourvus. Les étudiants de dernière année en pharmacie ne se bousculent pas au portillon pour postuler ces emplois. Le gouffre salarial qui les sépare du secteur privé semble expliquer ce manque d'intérêt: actuellement, les pharmaciens en milieu hospitalier ont un salaire de départ de 36,70$ l'heure. Au sommet de l'échelle, ils gagnent 45,88$. À titre comparatif, les pharmaciens du secteur privé commencent à environ 51$ l'heure.

À l'instar de plusieurs hôpitaux situés en région, l'hôpital de Sainte-Anne-des-Monts fonctionne avec un seul pharmacien alors qu'il y a un poste ou plus de vacant. La situation est la même aux Îles-de-la-Madeleine, à Chandler, à La Tuque, à Shawville et à Amos. À Montréal, les hôpitaux Santa Cabrini, Jean-Talon et Fleury fonctionnent avec de 30 à 40% des effectifs nécessaires.

La pénurie pousse l'APES à croire que la situation risque de se reproduire au cours de l'été, pendant la période des vacances. Des pharmaciens «dépanneurs» sont souvent appelés en renfort dans ces établissements, mais «les hôpitaux se les arrachent, il n'y en a pas assez qui sont formés», affirme Linda Vaillant, directrice générale de l'APES. Selon les calculs du syndicat, un «pharmacien dépanneur» coûte environ 1000$ par jour en comptant les frais d'hébergement et de déplacement.

«Il ne faut pas oublier que lorsque le pharmacien est seul dans son établissement, il doit être de garde tous les soirs et toutes les fins de semaine. C'est épuisant à la longue. Si je suis fatigué, je suis plus susceptible de faire des erreurs. Ce n'est pas sécuritaire pour personne», ajoute Charles Fortier.

Sans contrat de travail depuis deux ans, les 1500 pharmaciens d'hôpitaux sont l'un des derniers groupes d'employés de l'État qui n'ont toujours pas conclu d'entente avec le gouvernement. Les négociations achoppent sur la manière de régler la pénurie.