Le Québec peut se consoler un peu. En 2007, on a déploré 1091 décès par suicide, 1091 morts de trop, mais il s'agit du meilleur bilan à ce chapitre de mémoire de statisticien. Tranquillement, depuis le sommet de 1999, le suicide recule dans tous les groupes d'âge, hommes comme femmes, chez les ruraux comme chez les urbains. Mais le Québec demeure malgré tout le champion canadien du suicide, signe que la bataille est loin d'être gagnée. Portrait d'un fléau encore tabou.

Quatre ans après son installation, la barrière anti-suicide installée sur le pont Jacques-Cartier a démontré son efficacité. Cette structure métallique installée au coût de 1,3 million a réussi à empêcher une trentaine de suicides depuis 2004, selon une compilation obtenue par La Presse.Et rien n'indique, contrairement à ce que certains craignaient, qu'on ait tout simplement déplacé le problème vers d'autres lieux.

Selon le Bureau du coroner, le pont Jacques-Cartier était le théâtre de 10 ou 11 suicides par années entre 1995 et 2003. Depuis l'installation de la barrière, on en déplore trois fois moins, soit trois en moyenne chaque année. Les tentatives de suicide ont suivi la même courbe: d'une cinquantaine par année, on est passé à 12 en moyenne depuis 2004.

«Voilà une mesure bien concrète, un bel exemple de réussite où un ensemble de partenaires se sont mobilisés, dit André Landry, directeur général de Suicide Action Montréal. C'est heureux qu'on ait pu constater cette baisse aussi rapidement.»

Selon les statistiques les plus récentes dévoilées par la Société des ponts fédéraux, quatre personnes se sont suicidées en sautant du pont en 2008. On a également noté 11 tentatives infructueuses. Le porte-parole de l'agence fédérale, André Girard, se montre discret sur la méthode utilisée par ces quatre personnes, préférant préciser que «des correctifs ont été apportés depuis».

Ces quatre suicides en 2008 s'ajoutent aux douze enregistrés depuis qu'on a érigé une clôture de métal haute de 1,10 m au-dessus du parapet de 1,4 m. Ces 16 suicides sont autant de drames, mais on en aurait déploré plus d'une cinquantaine si la barrière n'avait pas été installée, note M. Girard. «On l'a patiemment testée avant de l'installer, avec des hommes-araignées, avec des policiers en super forme. Nous avons abouti à cette structure de laquelle il est pratiquement impossible de sauter.»

La barrière est jugée tellement efficace qu'on reprendra intégralement le même concept sur le pont Mercier, dont la réfection devrait être achevée en 2011.

Suicides en baisse à Montréal

Historiquement, le pont Jacques-Cartier a toujours été le plus meurtrier des ponts montréalais, en raison de la facilité de son accès et de sa proximité avec des quartiers défavorisés. Entre 1986 et 2001, 80% des 179 personnes qui ont choisi de se suicider en se jetant d'un pont l'ont fait à partir du pont Jacques-Cartier.

Pourquoi ce pont en particulier? La question a alimenté des dizaines de recherches en psychologie. Le pont Jacques-Cartier, avec ses lignes épurées montant vers le ciel, serait particulièrement attirant pour les personnes vulnérables. «Pour certains Québécois suicidaires, une composante symbolique est donc possiblement plus ou moins associée au pont Jacques-Cartier de Montréal», souligne Marc Daigle, psychologue, dans un rapport d'expertise remis à la Société des ponts fédéraux en 2003.

En 1975, note M. Daigle, un chercheur a interviewé sept survivants de tentatives de suicide faites à partir de ponts californiens. La grande majorité avait choisi un pont en particulier.

C'est sur cette base que la plupart des experts estiment improbable qu'on assiste à un déplacement des suicides quand on empêche l'accès à un pont. En 2002, le coroner Paul Dionne avait conclu que les risques étaient pratiquement inexistants. «C'est une question qui revient sans cesse, note André Landry. Est-ce qu'un autre «point chaud» peut apparaître - pour le nommer comme ça? La réponse pour le moment est non. Dans les métros, il y a eu une diminution aussi. Il y a davantage de mécanismes en amont pour intervenir.»

Les plus récentes statistiques sur le suicide à Montréal semblent confirmer cette conclusion, bien qu'il soit impossible d'associer la baisse à cette mesure en particulier. Entre 2004 et 2007, le nombre de suicides dans le secteur dit «Montréal-Centre», essentiellement l'ancienne ville de Montréal, est passé de 226 à 193. Le taux quant à lui est passé de 11,9 décès par 100 000 personnes à 10 décès, une baisse de 16% légèrement plus marquée qu'au Québec. En effet, pendant ce temps, le taux dans la province est passé de 15,6 à 14 décès, soit une baisse de 10%.