La décision du gouvernement de bâtir le futur Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) en partenariat public-privé (PPP) est basée sur des prévisions «peu rigoureuses» et «irréalistes», dénonce le chercheur en politiques sociales, Stephan A. Brunel. Impliqué autrefois dans le projet du futur CHUM, M. Brunel estime aujourd'hui que construire le nouvel hôpital en mode PPP est une «folie».

M. Brunel a été engagé comme consultant indépendant par le CHUM en janvier 2006. Il a aidé l'équipe de planification du CHUM à déterminer si le futur hôpital devait être construit en mode PPP ou en mode conventionnel public. Les résultats de cette analyse sont contenus dans les dossiers d'affaires initiaux (DAI) du CHUM.

Selon M. Brunel, les DAI ne sont «ni rigoureux ni fiables». Ils vantent volontairement le mode PPP et dénigrent sans raison le mode conventionnel.

Les DAI prévoient que la construction du CHUM en mode conventionnel engendrerait des coûts de 24% supérieurs au mode PPP. M. Brunel estime que ces prévisions sont fausses. «Les risques les plus farfelus ont été imaginés pour le mode conventionnel public et les risques les plus probables ignorés pour le mode PPP», dit-il.

Par exemple, les risques d'une faillite de l'opérateur ou d'une récession n'ont pas été considérés dans les calculs du mode PPP, selon M. Brunel. En ce temps de crise économique, M. Brunel explique que si l'une des entreprises impliquées dans la construction du CHUM en PPP fait faillite, le projet sera sérieusement compromis.

À l'Agence des PPP, on nuance cette information. «Notre appel de qualification s'assurera de la solidité des entreprises impliquées», explique le porte-parole de l'Agence des PPP, Hugo Delaney. Et puisque non pas une entreprise, mais bien un consortium d'une dizaine d'entreprises obtiendra le contrat du CHUM, les risques en cas de faillite sont minimes, plaide M. Delaney.

Mais le fait est que le risque en cas de faillite n'a pas été calculé, martèle M. Brunel. Il est formel: les consultants qui ont préparé les DAI «recevaient beaucoup de pression pour vanter le mode PPP».

Il cite en exemple le dossier du stationnement du futur CHUM. Dans la première projection qu'il dit avoir lui-même dressée, M. Brunel a estimé qu'un stationnement construit en mode conventionnel générerait une rentabilité de 15%. Mais des ajustements ont été apportés. «On a changé la prévision pour dire que le stationnement générerait un déficit», déplore-t-il.

La Presse a obtenu la version préliminaire des DAI. L'Agence des PPP du Québec refuse de rendre publique la version finale. «Ces documents demeurent confidentiels jusqu'à ce que l'entente finale avec le consortium privé soit signée», explique M. Delaney.

L'entente finale ne sera pas signée de sitôt. L'appel de propositions du CHUM, qui devait être lancé avant Noël, est toujours attendu. Les bonifications de dernière minute au projet (augmentation du nombre de lits et de salles d'opération) ont retardé le processus.

M. Brunel s'insurge contre le fait que les DAI finaux restent secrets «alors qu'ils ont servi de fondement à la décision gouvernementale d'opter pour le mode PPP». «S'il y a un problème, c'est juste à la fin du processus qu'on va le voir», dit-il.

M. Delaney assure que les DAI ont été vérifiés maintes fois. La firme comptable Raymond Chabot Grant Thornton a signé les DAI finaux. «Un comité consultatif du comité exécutif du CHUM a vérifié le document, dit-il. Et le vérificateur général du Québec les a aussi analysés.»

Le cabinet du vérificateur général a été incapable de confirmer cette information. «On l'a sûrement reçu. Mais nous n'avons pas encore émis d'avis officiel là-dessus», s'est contentée de dire la porte-parole du vérificateur général, Raymonde Côté-Tremblay.

M. Brunel a quitté le CHUM en décembre 2007. Il dit être le seul à vouloir parler publiquement, car il n'a plus peur de perdre son emploi. «Durant le processus, certaines personnes se sont opposées au mode PPP, dont l'ancien directeur général du CHUM, Denis Roy. Il n'est plus là aujourd'hui», dit-il.

Hier, le CHUM a voulu minimiser les propos de M. Brunel. «M. Brunel n'était pas affecté directement au dossier PPP et n'a joué qu'un rôle mineur», a dit la porte-parole du CHUM, Lucie Dufresne.

Des débutants

En plus d'avoir des inquiétudes sur le partenariat public-privé du CHUM, Stephan A. Brunel ne comprend pas comment Québec a pu décider de construire un nouvel hôpital universitaire en mode PPP sans avoir tout d'abord expérimenté la formule dans un projet de moindre envergure.

M. Brunel s'inquiète aussi du fait que deux projets d'hôpitaux en PPP seront construits simultanément à Montréal, «du jamais vu dans le monde». En effet, l'appel d'offre du nouveau Centre universitaire de santé McGill (CUSM) est déjà lancé.

M. Brunel croit que le fait que deux projets en PPP se déroulent en même temps entraînera une compétition malsaine. Par exemple, la Fondation canadienne pour l'innovation a déjà accordé des subventions de 100 millions au CUSM et pas au CHUM.

Consultations

Différentes personnes ont travaillé à l'élaboration des dossiers d'affaires initiaux (DAI) du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM). Trois consultants indépendants ont été engagés par le CHUM. Des consultants ont également travaillé pour le compte du comité exécutif du CHUM et pour l'Agence des partenariats public-privé. Les avis de toutes ces personnes ont permis de rédiger les DAI finaux, qui ont été signés par la firme Raymond Chabot Grant Thornton.