Quand on parle d'autisme, on pense d'abord aux enfants. Mais ils grandissent, ces enfants, et arrive le jour où ils veulent entrer sur le marché du travail. Pas toujours facile. Pourtant, bien dirigés, les autistes peuvent se révéler des collaborateurs à la fois fiables et performants.

Brigitte Harrisson a passé sa vie en guerre. Jeune, elle est cataloguée «surdouée et bizarre». À 30 ans, elle a un emploi et, soudain, elle s'effondre. Diagnostic: troubles envahissants du développement. Les efforts titanesques qu'elle avait maintenus pendant des années pour se tailler une place dans le marché du travail et pour entretenir, souvent par imitation, des contacts sociaux, l'avaient littéralement épuisée. Elle s'est reprise et livre maintenant une nouvelle bataille: démontrer aux entreprises que les autistes peuvent être d'excellents employés.

 

«On a souvent l'impression qu'il n'y a que des enfants qui ont des troubles envahissants du développement. Mais ces enfants deviennent des adultes!» dit-elle. Des adultes qui veulent travailler, qui ont souvent fait des études et possèdent d'indéniables compétences, parfois bien supérieures à la normale. Souvent, hélas, ils sont incapables de décrocher un emploi parce qu'ils font mauvaise impression en entrevue. Entre les employeurs et ces employés potentiels qui ne se comprennent pas, il y a un mur. Un mur que Brigitte Harrisson s'emploie, depuis près de cinq ans, à démolir. Mme Harrisson est, en quelque sorte, devenue la traductrice des autistes.

Elle-même autiste - à un faible degré, cependant - elle a conçu un modèle qui permet au grand public de comprendre comment fonctionnent les gens atteints de troubles envahissants du développement (TED). «Depuis 30 ans, les connaissances sur les autistes nous arrivaient d'un peu partout. Brigitte a été la première qui nous a expliqué comment ça se passe de l'intérieur», dit Lise St-Charles, qui travaille avec elle dans l'entreprise qu'elles ont fondée toutes les deux, Concept ConsulTED.

«Elle est une sorte de pierre de Rosette pour les autistes», dit le Dr Laurent Mottron, grand spécialiste des TED, qui fait allusion à la fameuse tablette qui a permis à Champollion de comprendre le sens des hiéroglyphes égyptiens.

Dans les conférences que Mme Harrisson donne partout au Québec depuis cinq ans, elle explique une partie des comportements qui rendent les autistes étranges aux yeux des «neurotypiques», comme Brigitte Harrisson appelle les gens comme vous et moi, qui ne se retrouvent pas dans le spectre des TED.

Un exemple simple: la poignée de main. Y a-t-il une chose plus banale que de serrer la main de quelqu'un, en le regardant droit dans les yeux et en lui disant bonjour? Pour un autiste, c'est là un défi considérable.

«Les sens, chez les neurotypiques, sont comme une équipe de hockey. Ils fonctionnent ensemble. Les TED ont des sens qui sont une équipe d'élite, mais qui ne font pas de passes. Les liens ne se font pas», explique-t-elle. Or, en donnant votre poignée de main, vous faites trois choses en même temps: toucher la main, regarder l'autre et lui parler. «Disons que, pour les autistes, ça n'est pas l'idée du siècle.»

«Si la personne que vous voulez engager vous demande si elle doit utiliser un stylo rouge ou un stylo bleu pour écrire, vous allez penser qu'elle est à côté de la plaque. Mais pour elle, c'est aussi important que ses heures de travail. Ou son salaire, duquel elle se fiche d'ailleurs éperdument», dit le Dr Mottron.

Expliquez tout ça à un employeur et, tout de suite, il verra la personne un peu étrange qu'il a reçue en entrevue de façon différente. Expliquez ensuite à cet employeur que son nouvel employé est épuisé à 13h parce qu'il travaille dans un milieu bruyant ou éclairé au néon, ce qui sollicite exagérément ses sens. Le problème pourra alors se régler rapidement.

«Ce sont des employés d'une précision et d'une fiabilité incroyables. Les employeurs qui y ont goûté disent que ce sont des employés exceptionnels, qui ont vraiment une religion du travail», dit Laurent Mottron. Les employés TED n'auront jamais le moindre retard. Et souvent, ils ont une productivité hors du commun.

Autistes, mais pas déficients

Longtemps on a cru que les autistes souffraient aussi de déficience intellectuelle. Ce qui, ont découvert les chercheurs, est en bonne partie faux. Moins d'un autiste sur cinq a une déficience intellectuelle. La grande majorité a donc une intelligence parfaitement normale, voire supérieure dans certains secteurs. Mais les préjugés sont tenaces. Résultat: moins de 10% des autistes adultes réussissent à décrocher un emploi. «Et ils trouvent rarement un emploi à la hauteur de leur intelligence», ajoute le Dr Mottron.

Martin Prévost gère l'un des rares programmes d'aide à l'emploi pour les adultes TED au Québec. Depuis trois ans, il a placé une cinquantaine de clients dans toutes sortes de milieux de travail. Manoeuvre, préparateur de commandes, traducteur, conseiller en voyage, concepteur web.

Cependant, M. Prévost a dû adapter les programmes de recherche d'emploi à l'intention des handicapés à la clientèle TED, puisque les autistes ont de la difficulté non seulement à trouver un emploi, mais aussi à le garder. Action-emploi envoie donc des accompagnants au travail avec les clients pendant un certain temps, afin de concevoir des outils concrets pour que le nouvel employé comprenne bien ce qu'on attend de lui.

Par exemple, ce thermomètre pour l'humeur, qui permet à la personne TED, qui a de la difficulté à exprimer ses émotions, de montrer concrètement à ses collègues s'il est de bonne humeur aujourd'hui. Ou alors ce tableau effaçable où le patron écrit chaque jour les trois tâches prioritaires de la journée, en les numérotant et en écrivant le temps qui devrait être passé à exécuter chacune des tâches.

«Tout ce qui est sous-entendu, il faut le définir. Parfois, les gens ont de la difficulté à comprendre les proverbes, les expressions. «Tu mérites une bonne tape dans le dos», ça va être interprété au pied de la lettre. La personne va penser qu'on veut la frapper!» raconte M. Prévost.

Malheureusement, des services comme ceux qu'offre Action-emploi sont extrêmement rares à l'échelle du Québec. Jo-Ann Lauzon, porte-parole de la Fédération québécoise des troubles envahissants du développement, résume le problème en quelques mots: «Les adultes TED sont un peu beaucoup laissés pour compte au Québec.»

 

En chiffres

20%

Moins d'un autiste sur cinq a une déficience intellectuelle.

10%

Moins de 10% des autistes adultes réussissent à décrocher un emploi.

16 000

Selon le taux officiel de prévalence, il y aurait au moins 16 000 personnes atteintes de TED au Québec.