Premier geste de la stratégie de la «gouvernance souverainiste», le gouvernement Marois annonce la tenue d'une «commission nationale d'examen» pour se pencher sur les changements à l'assurance-emploi proposés par Ottawa.

Le groupe, qui sera coprésidé par Gilles Duceppe, l'ex-chef du Bloc québécois et Rita Dionne-Marsolais, qui a été ministre sous Jacques Parizeau, Lucien Bouchard et Bernard Landry, aura jusqu'à novembre prochain pour remettre son rapport. Il devra entendre les groupes de travailleurs en région touchés par les nouveaux barèmes fédéraux. «On veut aller plus loin que les motions adoptées à l'unanimité à l'Assemblée nationale, le Québec veut se donner des outils pour faire entendre sa voix, mais aussi documenter (ses positions)», explique le ministre responsable du dossier, Alexandre Cloutier, dans une entrevue avec l'équipe éditoriale de La Presse.

«Il faut que les Québécois puissent exprimer leur mécontentement face à la réforme», affirme le ministre Cloutier. La question de la formation de la main-d'oeuvre est «intrinsèquement liée» à l'assurance-emploi, et fera inévitablement partie des travaux de la commission.

Cette commission ne sera pas un geste isolé, d'autres sont susceptibles d'être mises en place pour examiner les conséquences des décisions fédérales, ajoute M. Cloutier. Ces commissions seront «publiques, ponctuelles et itinérantes». Pas question de mettre en place un imposant secrétariat général, mais le groupe de M. Duceppe pourra compter sur une petite équipe de recherche. Il devra remettre son rapport le 29 novembre prochain, après une tournée des régions, prévue pour l'automne.

Budget prévu jusqu'ici: 1,5 million de dollars, soit «cinq fois moins que les commissions, habituellement». Deux anciens mandarins, Yvon Boudreau et Michel Bédard, compléteront l'équipe.

Les coprésidents Duceppe et Dionne-Marsolais ont droit à 1150 $ par jour de travail, M. Duceppe a accepté qu'on tienne compte de sa rente de la Chambre des communes comme s'il s'agissait d'un revenu de l'Assemblée nationale, il recevra donc 803 $ par jour pour son travail, explique-t-on au cabinet du ministre Cloutier.

Les deux anciens fonctionnaires ont droit à 800 $ par jour, mais comme M. Boudreau est un retraité de l'État, ses émoluments seront réduits pour en tenir compte.

Pour Alexandre Cloutier, ces nominations ne peuvent être qualifiées de partisanes, «il ne s'agit pas des petits amis du Parti québécois», insiste le ministre pour qui les deux anciens fonctionnaires ont eu un parcours impeccable comme serviteurs de l'État.

La Presse, qui a révélé la composition de la commission lundi, relevait que M. Boudreau est depuis longtemps davantage associé aux gouvernements péquistes, depuis Jacques Parizeau. Il avait été choisi par Lucien Bouchard pour mettre en place l'entente de 1997 quand Ottawa avait délégué la formation de la main-d'oeuvre à Québec. Après les élections de 2003, il était passé de responsable d'Emploi-Québec à responsable des politiques du ministère. M. Bédard, longtemps actuaire de l'assurance-emploi à Ottawa, est maintenant conseiller à l'Organisation internationale du travail. M. Bédard a aussi pris position publiquement pour le rapatriement de l'assurance-chômage au Québec.

«Ce sont des gens extrêmement compétents, ils ont été choisis pour leur compréhension des enjeux, leur capacité de mener à bien ce genre de réflexion. L'origine des deux anciens élus est connue, on ne peut parler d'exercice biaisé», selon le ministre. «Est-ce que c'est mal en soit d'avoir un passé souverainiste? On est amplement capables de justifier ces nominations du point de vue des compétences», insiste-t-il.

Ils ont un mandat court, pour des «propositions efficaces et précises», résume le ministre Cloutier. «Ce qui compte pour nous, c'est que les Québécois se reconnaissent dans cette commission, on ne se tourne pas vers l'opposition, mais vers ceux qui vont y participer. Les gens vont aller se faire entendre. Là, on essaie de discréditer la commission avant même le début des travaux», déplore-t-il. Il prévoit déjà que les ministres conservateurs du Québec seront embarrassés par ce procès public, dans les régions, de leurs politiques.

Opération critiquée

Mardi, l'ex-ministre libérale Kathleen Weil, avant même l'annonce, prévenait que le PLQ ne participerait pas à ces commissions itinérantes «que le gouvernement veut utiliser à des fins partisanes», prévenait-elle. Québec aurait mieux fait de travailler à des consensus avec les autres provinces pour battre en brèche les intentions d'Ottawa sur l'assurance-emploi, plaide-t-elle. Pour le caquiste Gérard Deltell, le choix de Gilles Duceppe ne laisse pas de doute sur les conclusions de la commission, le choix d'un tel «adversaire du Canada» discrédite toute l'opération.

Pour le ministre Cloutier, ces commissions s'inscrivent «dans le geste plus large de la gouvernance souverainiste», une démarche qui veut «freiner et combattre les ingérences fédérales», «c'est le minimum si on est souverainiste», dit M. Cloutier. Le gouvernement Marois entend aussi «occuper tout l'espace législatif» dans ses compétences. «On est conscients qu'on force le jeu», laisse-t-il tomber.

Pour M. Cloutier, «le fédéralisme d'ouverture» annoncé par Stephen Harper en 2005 «ne s'est jamais concrétisé. On voit à la place se déployer tous ces empiètements du fédéral, et la subvention à la formation de la main-d'oeuvre prévue pour mars 2014 est la dernière en lice des intrusions dans les compétences du Québec», affirme M. Cloutier, évoquant une mesure du récent budget fédéral. Au passage il évoque les tracasseries inutiles du système actuel - le ministre québécois doit autoriser par lettre chacune des subventions fédérales aux municipalités, des créatures du gouvernement provincial. «Le lundi, j'ai une pile de lettres à signer, des subventions pour un ascenseur ou un compresseur...», sert-il en exemple.

«Il y a plus qu'un ménage à faire pour rendre les choses conformes à la Constitution, il faut mettre un frein à ces dédoublements», observe-t-il. Québec plaide que ces fonds devraient lui revenir pour qu'il les distribue lui-même.

«Jusqu'aux limites»

Le Québec veut «repousser jusqu'à ses limites l'ordre juridique actuel», ajoute le ministre qui donne comme exemple l'intention d'adopter une nouvelle Charte de la langue française ou une charte de la laïcité. Pas question toutefois de poser «des gestes de rupture», d'y aller de décisions qui contreviendraient à la Constitution, précise le jeune constitutionnaliste, qui paraît bien réticent à recourir à la clause dérogatoire prévue en 1982.

La décision du Québec de conserver le registre des armes à feu, d'y aller de directives pour les poursuites contre les jeunes contrevenants, même la création d'une «banque» de développement économique sont autant d'exemples de «gouvernance souverainiste», des gestes posés pour repousser les limites des champs d'action jusqu'ici occupés par le gouvernement.

Québec compte «dénoncer systématiquement chaque intervention fédérale qui ne respecte pas le partage des compétences», indique le ministre Cloutier. Pas question d'adopter la politique de la «chaise vide», mais Québec se dissociera officiellement de toute démarche des provinces qui viserait à accroître l'intervention d'Ottawa dans les compétences provinciales. Geste symbolique, les ministres québécois ne parleront qu'en français aux conférences fédérales-provinciales.