Le gouvernement Marois veut avoir son mot à dire avant que l'industrie pétrolière albertaine ne puisse écouler au Québec du pétrole issu des sables bitumineux. Le projet de la société Enbridge fera l'objet d'une consultation québécoise, a-t-il annoncé mercredi.

Carte de la route du pétrole (au bas du PDF)

En matinée, le ministre de l'Environnement, Daniel Breton, a laissé entendre qu'il souhaite bloquer l'industrie albertaine. Il a répondu à

La Presse qu'il «travaille» sur des moyens d'empêcher l'inversion du flux d'un pipeline en vue d'acheminer du pétrole des sables bitumineux au Québec.

«Ce que les Albertains veulent faire avec leur pétrole, l'amener sur notre territoire sans notre consentement... il va falloir qu'on regarde ça», a-t-il lancé.

Mais l'ex-militant environnementaliste a nuancé ses propos quelques heures plus tard, lors d'une conférence de presse en compagnie de son collègue des Affaires intergouvernementales canadiennes, Alexandre Cloutier.

«Avant que ça se fasse vers l'est, on veut avoir notre mot à dire. Vous savez que j'ai à coeur l'environnement, que le gouvernement a à coeur l'environnement. Donc, avant qu'une décision soit prise, on veut dire notre mot. Et on veut s'assurer que si ça doit être fait, que ça se fasse de la bonne manière», a-t-il expliqué.

Sa réflexion «ne porte pas sur les moyens de bloquer, elle porte sur la façon d'avoir les informations nécessaires pour prendre une décision».

Selon lui, la loi sur la qualité de l'environnement «peut faire en sorte que le gouvernement exige plus d'informations».

Il a souligné que l'industrie albertaine s'est déjà heurtée à un mur aux États-Unis et en Colombie-Britannique pour des raisons environnementales. Il a aussi rappelé le déversement massif de pétrole dans la rivière Kalamazoo, au Michigan, survenu en 2010 à la suite de la rupture d'un oléoduc d'Enbridge.

Alexandre Cloutier a souligné que le projet de la société albertaine sera soumis à une «consultation québécoise», qui ne sera toutefois pas tenue par le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE). Elle s'ajoutera à l'analyse de l'Office national de l'énergie (ONE), un organisme fédéral qui se penche déjà sur le projet.

«Les gens directement concernés seront consultés. On va s'assurer que les règles environnementales québécoises soient respectées», a noté M. Cloutier.

Selon lui, le gouvernement Marois veut «travailler en collaboration» avec les gouvernements fédéral et albertain. Les intentions du gouvernement, ce n'est «absolument pas» de déclarer la guerre à l'Alberta ou au fédéral, a assuré M. Breton.

À Ottawa, l'idée d'acheminer du pétrole albertain vers l'est du pays fait presque consensus chez les partis politiques. Le gouvernement Harper est favorable à ce projet, tout comme le Parti libéral. Le Nouveau Parti démocratique est aussi d'accord avec le principe pour des raisons de sécurité énergétique et de création d'emplois, mais apporte certaines nuances.

«J'ai une objection absolue d'utiliser la ligne 9 tant et aussi longtemps qu'on n'a pas fait une analyse sérieuse de tous les impacts possibles, par exemple, de la nature très corrosive des produits qui sont utilisés. C'est une objection catégorique et fondamentale. Et c'est une condition préalable à toute discussion de cette nature-là d'avoir un réel processus», a tranché le chef néo-démocrate Thomas Muclair.

M. Mulcair a indiqué que, pour l'instant, il n'y avait pas assez d'informations sur le projet pour prendre position. Il a aussi émis des doutes sérieux quant à la capacité du gouvernement fédéral et de l'ONE d'évaluer correctement le projet en raison des changements apportés aux lois environnementales par Ottawa depuis un an.

En entrevue avec La Presse mardi, le chef du Bloc québécois, Daniel Paillé, a fait valoir que le projet d'Enbridge doit être pleinement évalué par le gouvernement du Québec. Il faut aussi que ce projet réponde aux besoins énergétiques de la province, a-t-il ajouté.

«Si on veut juste créer une autoroute pétrolière et que le Québec voit juste passer un tuyau avec de la boue dedans, ce n'est pas dans notre intérêt», a dit M. Paillé.

De son côté, la ministre des Ressources naturelle du Québec, Martine Ouellet, a été laconique: «Il faudra analyser l'ensemble des impacts du projet, les impacts économiques et environnementaux. Nous allons suivre le dossier Enbridge.»

Le mois dernier, interrogée par la chaîne Argent sur ce dossier, elle avait déclaré que «la diversification des sources d'approvisionnement en pétrole est très intéressante».

«On sait que les coûts sont plus bas dans l'Ouest», affirmait-elle. Elle se disait même «en train d'examiner le dossier pour favoriser l'industrie de la transformation tant à Montréal qu'à Québec».

La société Enbridge souhaite inverser le flux du pipeline entre l'Ontario et Montréal pour faire passer le pétrole de l'ouest vers l'est. Ainsi, du pétrole provenant des sables bitumineux pourrait être acheminé jusqu'à la raffinerie Suncor et aux réservoirs d'Ultramar, tous deux situés dans l'est de l'île de Montréal. De là, Ultramar souhaite transporter le brut par bateau jusqu'à sa raffinerie de Lévis.

Dans sa demande, Enbridge souligne que l'oléoduc pourra aussi transporter du pétrole lourd, ce qui indique qu'un dérivé des sables bitumineux pourrait un jour être acheminé au Québec. Jusqu'à maintenant, jamais cette ressource controversée n'a franchi les frontières québécoises.

Un autre projet pourrait s'ajouter à celui de la ligne 9: il s'agit de la conversion d'un gazoduc de TransCanada en oléoduc pour acheminer vers le Québec jusqu'à un million de barils par jour en provenance de l'Ouest.

TransCanada n'a pas rappelé La Presse. Dans une dépêche de La Presse Canadienne, un dirigeant de l'entreprise a affirmé qu'il ne s'attendait pas à un ressac contre ce projet dans l'est du pays.

Archives La Presse

Daniel Breton et Pauline Marois.