Jean-François Lisée, blogueur et chroniqueur vedette de L'actualité, perdra la tribune que lui offre le magazine québécois s'il présente sa candidature sous la bannière péquiste aux prochaines élections provinciales.

Depuis le début de l'année, l'engagement de plus en plus actif de M. Lisée au sein du Parti québécois a provoqué un malaise dans les milieux journalistique et universitaire, où gravite l'homme aux multiples casquettes.

Coup sur coup, cet intellectuel souverainiste a ainsi dû quitter le plateau du Téléjournal de Radio-Canada, où il faisait partie d'un groupe d'analyse politique, et la direction du Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal (CÉRIUM), où ses activités partisanes suscitaient la grogne de certains chercheurs.

S'il décide de faire le saut en politique, M. Lisée devra cette fois abandonner sa chronique et son blogue, de loin le plus populaire du site web de L'actualité.

«Il est certain que si Jean-François Lisée se déclare officiellement candidat, il ne pourra plus continuer à tenir son blogue chez nous, ni à signer en tant que chroniqueur dans nos pages. On ne pourra pas offrir une telle tribune à un candidat à moins que nous puissions offrir à ses adversaires une tribune équivalente», explique le rédacteur en chef adjoint du magazine, Charles Grandmont.

La candidature de M. Lisée dans Rosemont - non officielle, mais pratiquement acquise selon nos sources - n'a pas provoqué une levée de boucliers dans les rangs des libéraux comme celle de Pierre Duchesne, ancien journaliste de Radio-Canada.

Dans le cas de M. Lisée, le Parti libéral n'a pas l'intention de porter plainte au Conseil de presse du Québec. «Je n'ai jamais cru à l'impartialité de Jean-François Lisée, et je pense que peu de gens y ont jamais cru», explique Michel Rochette, directeur des communications du PLQ.

C'est que contrairement à M. Duchesne, il y a longtemps que M. Lisée ne prétend plus à l'objectivité journalistique. «Je suis transparent. J'ai toujours dit que j'étais conseiller occasionnel [du PQ], que je suis un souverainiste impénitent. On a toujours su qui j'étais», rappelle-t-il.

À dire vrai, M. Lisée a lui aussi soulevé l'ire des libéraux, mais c'était... en 1994, quand il est devenu conseiller du premier ministre Jacques Parizeau. Le jeune journaliste venait alors de publier Le Tricheur et Le Naufrageur, deux charges à fond de train contre la «trahison» de Robert Bourassa envers le mouvement souverainiste.

Son passage en politique lui avait attiré les sarcasmes des libéraux. «On commence à voir qui est le vrai tricheur. Si Lisée a l'intention d'écrire son autobiographie, il devrait l'intituler L'Hypocrite », avait raillé John Parisella, alors chef de cabinet de Daniel Johnson.

Près de deux décennies plus tard, les couleurs politiques de Jean-François Lisée sont bien connues. Mais elles continuent de faire sourciller au sein de la communauté journalistique.

En mars, par exemple, le chroniqueur-militant a participé à la conception d'un dossier de L'actualité sur la langue, dont les conclusions alarmantes ont vite été récupérées par le PQ.

Cette confusion des genres est encore plus frappante depuis quelques semaines, alors que plusieurs capsules vidéo mettant M. Lisée en vedette sont diffusées à la fois sur le site web du PQ et sur celui de L'actualité.

Départs à la chaîne

En février, la direction de Radio-Canada a congédié M. Lisée du groupe d'analyse politique organisé tous les jeudis au Téléjournal, sous prétexte qu'il avait accepté de se joindre à un comité chargé d'élaborer une stratégie souverainiste par la chef péquiste, Pauline Marois.

Mais cela n'a pas semblé importuner les téléspectateurs outre mesure: des 10 plaintes reçues par l'ombudsman de Radio-Canada au sujet de Jean-François Lisée, seulement deux concernaient ses activités politiques. Les huit autres dénonçaient au contraire... son expulsion du groupe d'experts!

En mars, M. Lisée a aussi dû quitter la direction du CÉRIUM, prestigieux laboratoire d'idées de l'Université de Montréal. Plusieurs chercheurs lui reprochaient de manquer à son devoir de réserve dans ses interventions médiatiques.

L'Université de Montréal l'a sommé de limiter ses activités partisanes pour se consacrer au CÉRIUM. Incapable de se plier à ces conditions, il a choisi de prendre la porte.

«Dans la dernière année, on pouvait penser que mes activités parascolaires étaient trop importantes pour le bien du CÉRIUM. Moi-même, je suis d'accord avec cela», admet-il.

Brillant stratège et redoutable communicateur,

M. Lisée a écrit certains des discours les plus marquants de Jacques Parizeau et de Lucien Bouchard dans les années 90. Son influence était énorme. Il a notamment été le principal architecte de la stratégie référendaire de 1995.

Mais même dans les rangs péquistes, il ne faisait pas l'unanimité. Plusieurs ministres lui reprochaient de passer par-dessus leur tête pour dicter aux hauts fonctionnaires les volontés du bureau du premier ministre.

Quoi qu'il en soit, aujourd'hui, tous les observateurs l'imaginent déjà non seulement député, mais en très bonne place au sein d'un cabinet ministériel, en cas de victoire péquiste.

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1958 Naissance à Thetford Mines.

1994 Journaliste, il fait le saut en politique, en devenant conseiller de Jacques Parizeau.

1999 Désillusionné, il quitte le bunker et son poste de conseiller de Lucien Bouchard.

2004 Il devient directeur du Centre d'études et de recherches internationales de l'Université de Montréal (CÉRIUM).

Mars 2012 Il quitte le CÉRIUM.