Il y a un peu plus d'un an, Amir Khadir a été élu député de Mercier. Il est devenu ainsi le premier représentant de Québec solidaire à l'Assemblée nationale du Québec. Retour sur cette première année et sur les événements qui secouent son pays d'origine, l'Iran.

Q: On disait d'Albert Camus qu'il était solitaire et solidaire. Un an après votre entrée à l'Assemblée nationale, est-ce votre cas?

R: Camus est un de mes auteurs préférés. Cela me fait un velours d'être dans la même situation que lui. C'est-à-dire seul, au milieu de la foule, devant mon devoir d'humanité et de solidarité. Mais pas seul tant que ça, dans le sens où il y a une équipe que l'on commence à construire et qui travaille extrêmement bien. Ensuite, je sens quand même chez les députés des autres partis quelque chose de l'ordre d'une courtoisie, d'une sympathie qui fait en sorte qu'on n'est pas nécessairement seul.

Q: Les petites formations ou les députés indépendants ont-ils assez de temps de parole en Chambre?

R: Ce n'est jamais assez. Si on tient compte du fait que je représente un courant politique qui est sous-représenté au plan électoral en raison du mode de scrutin, c'est sûr que je n'ai pas un temps de parole qui est compatible. Mais on peut reconnaître que le système actuel permet une protection des minorités, et on a un temps de parole qui est plus important que notre nombre de sièges. À l'inverse, je ne suis pas sûr que la plupart des députés libéraux, y compris plusieurs ministres, aient beaucoup à dire sur les grandes orientations du gouvernement. Les députés n'ont pas de prise sur l'exécutif, qui semble trop perméable à la somme de toutes les influences constituées en lobbys puissants. Comme député indépendant, j'ai, en un sens, plus de pouvoirs, car j'ai la liberté de le dire.

Q: Le soir de votre victoire, vous avez déclaré: «Merci pour cette raison d'espérer un autre Québec.» Est-ce que vous espérez toujours?

R: Oui, absolument! Pas que je sois hyper-optimiste à court terme. Mais je suis quand même assez confiant. Dans un sondage réalisé par votre journal, on avait demandé aux gens de se prononcer sur de grands enjeux de société sans se prononcer pour un parti ou l'autre. Dans cinq des six enjeux, les gens étaient plutôt favorables aux propositions de Québec solidaire. En fait, un autre Québec est souhaité par tous les Québécois. Si tous les partis parlent de changement, c'est parce qu'ils sentent que les gens veulent que certaines choses changent. Mais le problème, c'est que, une fois arrivés au pouvoir, ils répondent à des lobbys puissants qui sont des acteurs économiques qui profitent de la situation quand les changements ne se produisent pas.

Q: Est-ce que cette année a changé quelque chose dans la codirection avec Françoise David?

R: Pas du tout. On a réaménagé des tâches, des responsabilités. Cette question de ne pas avoir de chef n'est pas conjoncturelle. C'est réellement une question de valeurs, d'expérience. Pour nous, le problème n'est pas de savoir qui est le chef. Le problème, c'est la concentration du pouvoir, avec ses excès. Il y a une façon de fonctionner en démocratie sans donner des pouvoirs aussi importants à un chef qui, même au Québec, heurte notre entendement. Rappelez-vous le PQ qui, en congrès, vote pour la nationalisation des éoliennes alors que, quelques mois plus tard, le nouveau chef dit: «Je m'excuse mais je m'en vais ailleurs.» Ça, c'est inadmissible.

Q: Depuis votre élection, quels sont vos meilleurs coups? Et vos pires erreurs?

R: Ah, là, là... Commençons par les erreurs. Le fait d'avoir lancé le soulier (sur une photo de George Bush en décembre 2008), la manière dont ça s'est passé, sans consulter mes propres collègues de Québec solidaire... Déjà, nos idées sont en dehors du cadre, du consensus habituel. Alors lorsqu'on fait un geste comme celui-là, qui n'est pas du tout attendu de la population, ça ajoute une distance qui n'était peut-être pas nécessaire.

Quant à mon meilleur coup, c'est sans doute d'avoir pu et su exprimer le courroux populaire contre Henri-Paul Rousseau (ndlr: alors qu'il comparaissait en commission parlementaire au sujet du déficit de 40 milliards de la Caisse de dépôt en 2008) comme symbole de l'impunité des plus puissants. Ces derniers peuvent faire n'importe quelle erreur sans jamais avoir de comptes à rendre à personne. Alors que le simple employé de n'importe quelle entreprise a, pour une erreur beaucoup moins importante, des comptes à rendre.

Q: Avez-vous voté avec le gouvernement sur certaines questions?

R: Sans avoir eu à voter, j'ai exprimé que je n'ai aucun problème avec le déficit si c'est pour relancer l'économie, pour dépenser dans la société en matière d'infrastructures, de dépenses publiques, pour empêcher que l'économie tombe et fasse mal au plus grand nombre de gens, c'est-à-dire la classe moyenne.

Q: L'automne dernier, vous vous êtes fait vacciner en même temps que Bernard Drainville (PQ) et le ministre Yves Bolduc. Aujourd'hui, beaucoup de personnes raillent la campagne monstre qu'ont menée le gouvernement et les médias au sujet de la grippe A (H1N1). Regrettez-vous votre geste?

R: Pas du tout. Dès le départ, je me suis inquiété de la trop grande proximité des firmes pharmaceutiques avec les décisions gouvernementales. Et j'ai dit aussi que ce qui est regrettable, dans une vaccination comme celle-là, c'est que le gouvernement ait dépensé des centaines de millions au profit des pharmaceutiques. Alors que la recherche et le processus de validation se font avec l'argent des contribuables, ce sont les pharmaceutiques qui récoltent le pactole. Le processus de fabrication est archiconnu.

Q: Le président iranien Mahmoud Ahmadinejad a déclaré que l'Iran était devenu une nation nucléaire capable de produire de l'uranium hautement enrichi. Êtes-vous inquiet?

R: Pour la bombe, il faut 70%. L'Iran est rendu à 20%. Cela dit, je ne le crois pas vraiment. Ahmadinejad est unanimement contesté en Iran. Il profite de l'anniversaire de la Révolution pour en mettre plein la vue afin de garder la faible sympathie qui lui reste. À ma connaissance, les Iraniens ne sont pas pour les armes nucléaires. La nation n'a pas besoin de bombe atomique. S'il y a une inquiétude à avoir, à mon avis, c'est que, pour le monde, il n'est pas bon qu'Israël possède 200 têtes nucléaires. À cause de cela, une menace constante plane dans la région et fait en sorte qu'un Saddam Hussein ou un Ahmadinejad va toujours être tenté de fabriquer la bombe aussi. Il faut que les gouvernements canadien, américain, européen aient le courage de dire ses vérités à Israël. Il faut normaliser les rapports, reconnaître les droits du peuple palestinien et régler le conflit dans la justice. Et une fois ce conflit réglé, tous ces Ahmadinejad, ces Saddam Hussein tombent à l'eau. Tous ces ben Laden n'ont plus aucune prise sur ces populations de cette région du monde.

Q: L'Iran a-t-il le droit d'enrichir de l'uranium?

R: Comme tous les signataires du traité de non-prolifération, l'Iran a le droit d'enrichir de l'uranium, mais pas à des fins militaires.

Q: Le premier ministre canadien, Stephen Harper, entend utiliser la présidence du G8 pour presser ses partenaires d'imposer des sanctions économiques à l'Iran. Qu'en dites-vous?

R: Si les sanctions sont aussi aveugles et irréfléchies que celles qui ont été imposées au peuple irakien, non seulement ça ne donnera rien, mais cela va renforcer les autorités. C'est contre les détenteurs du pouvoir, et non contre le peuple iranien, qu'il faut agir. Sinon, si les sanctions sont destinées, comme cela a été le cas en Irak, à punir tout un pays, ça ne correspond qu'aux intérêts d'Israël.