Le voyage que s'apprête à faire Jean Charest en Inde ne sera pas de tout repos. Alors que des centrales syndicales indiennes organisent une manifestation pour dénoncer la politique québécoise sur l'amiante, une centaine de scientifiques exigent que le premier ministre profite de ce déplacement pour annoncer la fin de l'exportation de ce produit toxique dans les pays en développement.

La Presse a appris que des employés du secteur de l'amiante se préparent à manifester leur colère contre le Québec, lundi prochain à Bombay. Avec l'appui d'importants syndicats, ils entendent demander eux aussi la fin de l'exportation de l'amiante en Inde.

«Des travailleurs et d'ex-travailleurs des usines qui reçoivent l'amiante du Québec, des centrales syndicales et des groupes d'appui aux travailleurs de Bombay et d'Ahmedabad participeront à la manifestation», a confié par courriel la militante Madhumita Dutta.

«Le message au premier ministre: cessez d'appuyer l'exportation de ce produit toxique», a-t-elle indiqué.

Parmi les groupes engagés figurent des syndicats, mais aussi des organisations de santé publique comme l'Occupational Health and Safety Centre de Bombay et l'Occupational Health and Safety Association d'Ahmedabad.

Les organisateurs de la manifestation ont demandé une rencontre avec M. Charest, mais il a été impossible de joindre l'attaché de presse de ce dernier, hier, afin de savoir s'il a répondu à la requête. D'une façon ou d'une autre, les manifestants tiendront une conférence de presse lundi.

Danger

En parallèle, les scientifiques entendent profiter de la mission économique de M. Charest en Inde pour accroître la pression sur le Québec. Dans une lettre transmise au cabinet du premier ministre, hier, 106 experts de tous les horizons, provenant de 28 pays, exigent la fin de l'exportation d'amiante en Inde et dans l'ensemble des pays en développement.

«Nous vous demandons de reconnaître la preuve scientifique incontestée qui démontre que toutes les formes d'amiante s'avèrent dangereuses ainsi que le jugement réfléchi de l'Organisation mondiale de la santé, qui estime que l'utilisation sécuritaire de n'importe quelle forme d'amiante n'a pu être établie nulle part au monde», peut-on lire.

Parrainée par l'Association sud-africaine du cancer (CANSA) et l'organisme américain Environmental Health Trust, la missive de huit pages aborde autant «l'épidémie de maladies associées à l'amiante» qui sévit au Québec que les dangers que fait planer cette substance cancérigène sur les travailleurs indiens.

«Au moment où vous vous préparez à diriger une mission commerciale en Inde, écrivent-ils à M. Charest, nous vous demandons (...) d'accepter de faire prévaloir la preuve incontestable du danger de l'amiante pour la santé, preuve établie par tant d'experts désintéressés de la santé.»

On trouve parmi les signataires des professeurs de la Chine, de la Corée ou encore du Brésil, des experts de santé publique de l'Australie, du Liban et de la Suède ainsi que des Canadiens comme la professeure d'épidémiologie de McGill Abby Lipman et Fernand Turcotte, professeur émérite de médecine à l'Université Laval.

La lettre souligne ce que les experts voient comme une contradiction: le Québec dépense des millions de dollars pour enlever l'amiante des écoles, des hôpitaux et des bâtiments gouvernementaux, mais il encourage l'exportation de ce «produit dangereux» vers les pays du tiers-monde. «C'est une ligne de conduite indéfendable», note-t-on.

On ajoute que cela est d'autant plus difficile à justifier que le Québec préconise un degré d'exposition maximale qui est beaucoup trop élevé pour être sécuritaire, soit une fibre d'amiante chrysotile par millilitre d'air (1 f/ml), selon la norme de la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST). Or, cette norme est exceptionnellement élevée, quand on la compare à celles d'autres pays.

«Il est choquant de voir le gouvernement du Québec approuver un niveau d'exposition pour les personnes d'outre-mer 10 fois plus élevé que le niveau autorisé par toutes les autres provinces du Canada, les États-Unis, l'Union Européenne et d'autres pays industrialisés occidentaux et 100 fois plus élevé que le niveau d'exposition autorisé en Allemagne, en Suisse et aux Pays-Bas», précise-t-on.

En fait, aucun pays occidental n'a une norme aussi peu exigeante que celle du Québec, selon Louise De Guire, médecin-conseil de l'Institut national de santé publique du Québec (INSPQ). Celui-ci recommande d'ailleurs au ministère de la Santé, depuis 2003, d'examiner «la pertinence de réviser la norme actuelle d'exposition à l'amiante en milieu de travail, compte tenu du risque élevé auquel les travailleurs sont exposés».

À ce propos, les scientifiques se désolent dans leur lettre que «le gouvernement ne pratique pas ce qu'il prêche, ce qui ternit la réputation internationale du Québec».