Le Fonds d'intervention économique régional (FIER) de Saint-Jean-sur-Richelieu a investi 750 000$ en novembre 2007 dans une entreprise de fabrication de kayaks qui a presque aussitôt déménagé sa production de Montréal vers la Chine; le FIER savait que c'était dans les plans de Voodoo Technologies.

Quelques mois après la délocalisation, qui a causé une douzaine de licenciements ici, l'entreprise a fait faillite. Et le FIER a perdu sa mise de 750 000$, dont les deux tiers étaient des fonds publics.

 

Le FIER du Haut-Richelieu a réalisé son plus important placement le 13 novembre 2007 dans Voodoo Technologies, a confirmé hier son directeur général, Jeannot Rocheleau. Cet investissement lui avait été proposé quelques semaines auparavant par l'entrepreneur Marc Pelland, proche de Jean-François Rivest, président de Voodoo. Au moment où il sondait le FIER, M. Pelland n'avait aucun intérêt dans l'entreprise, a-t-il dit à La Presse.

M. Pelland est devenu actionnaire et administrateur du FIER le jour même où le fonds a décidé de verser 750 000$ à l'entreprise de son ami. Toujours lorsque le FIER a pris sa décision, M. Pelland a investi lui-même 200 000$ dans Voodoo et est devenu l'associé de M. Rivest.

Une «opportunité»

«Je n'ai pas participé au processus décisionnel d'investissement» du FIER, a soutenu M. Pelland. Il a confirmé toutefois qu'il avait présenté le dossier aux administrateurs du FIER et «dit aux autres qu'il y a là une opportunité». Selon M. Rocheleau, M. Pelland s'est retiré du comité de placement lorsque la décision d'investir dans Voodoo a été prise. Le FIER avait rendu son placement conditionnel à ce qu'un autre investisseur injecte des capitaux, ce que M. Pelland a fait.

«En avril ou en mai 2008», c'est-à-dire quatre ou cinq mois après l'investissement du FIER, Voodoo Technologies a décidé de déménager sa production en Chine, a indiqué M. Pelland. Des équipements de l'usine montréalaise sont partis pour Shanghai en juin.

Or, les membres du comité de placement du FIER savaient que Voodoo envisageait de déménager sa production lorsqu'ils ont accepté de lui verser 750 000$. Ce scénario faisait partie du plan d'affaires de l'entreprise qui leur a été présenté. «On savait que c'était une avenue possible. Et malheureusement, c'est arrivé», a dit Jeannot Rocheleau.

Selon lui, le FIER n'a toutefois appris qu'à l'automne que Voodoo procédait à une délocalisation. «On a interrogé Voodoo. On nous disait que c'était pour assurer la survie de l'entreprise, que ça allait baisser les coûts de production. On a dit: O. K., on va perdre des jobs, mais au moins le siège social va rester à Montréal», a-t-il dit.

Une douzaine de travailleurs ont été licenciés. Selon M. Pelland, il ne restait plus que six ou sept employés de bureau après la délocalisation.

«La mission du FIER, c'est aussi d'aider à sauvegarder des emplois», a soutenu M. Rocheleau. Au moment de l'investissement, «on pensait que l'entreprise allait repartir». Voodoo Technologies éprouvait de grandes difficultés financières à l'automne 2007. D'après M. Pelland, sans l'investissement du FIER, «il n'y aurait plus eu d'emplois du tout. La shop risquait de se s'en aller aux États-Unis».

Les moules de Voodoo aux mains des Chinois

En Chine, Voodoo a conclu une entente avec Shutai Sports Goods pour la production des kayaks. Ce manufacturier de Shanghai fabriquait déjà des accessoires pour les planches à roulettes de la société Woodchuck, propriété de M. Pelland. Voodoo a cédé à Shutai ses moules, nécessaires à la fabrication des kayaks. Un moule vaut des dizaines de milliers de dollars.

À la suite du déménagement, «les ventes de Voodoo ont triplé», estime M. Pelland. Mais en décembre 2008, l'entreprise ne s'est pas entendue avec son institution bancaire sur un montage financier lui permettant de poursuivre ses activités. La compagnie a fait faillite en janvier. Cinq personnes ont alors perdu leur emploi à Montréal, selon M. Pelland, qui dit être «le plus gros perdant» dans cette histoire.

26% des avoirs du FIER

Comme le FIER était un créancier non garanti, il a perdu ses 750 000$. C'est 26% des avoirs de ce fonds régional. Shutai a gardé les moules, comme le prévoyait l'entente avec Voodoo.

Le jour même de la faillite, Jean-François Rivest et Marc Pelland ont déposé auprès d'Industrie Canada une demande d'enregistrement pour l'utilisation de la marque de commerce Riot, celle des kayaks les plus prestigieux de Voodoo. Ils négocient maintenant avec leurs créanciers et Shutai en vue de lancer une nouvelle entreprise.

De son côté, le FIER n'a plus aucun espoir de revoir la couleur de son argent. «Les actionnaires du FIER ne la trouvent pas drôle. Disons qu'il ne sont pas en amour avec M. Pelland», a lancé M. Rocheleau.

M. Pelland, qui dit avoir «mis 450 000$ dans le FIER», est toujours l'un des administrateurs et même l'actionnaire majoritaire du FIER. «Mais on a voulu se dissocier le plus possible de ce monsieur-là à l'intérieur de ce qu'on peut faire selon la loi», a conclu M. Rocheleau.