Juste avant d'accrocher sa fameuse sacoche, Monique Jérôme-Forget n'a pu s'empêcher de lancer une fausseté en soutenant qu'elle allait «s'ennuyer» des journalistes de l'Assemblée nationale. Et pour bien marquer qu'elle en avait soupé des questions trop insistantes, elle s'est rendue, deux heures plus tard, faire sa dernière conférence de presse entourée de ses sympathisants, à Montréal.

La dame de fer a tiré hier sa révérence, devançant de plusieurs semaines le scénario qui circulait largement dans les cercles libéraux - elle devait partir quelque part à l'été, assez tôt pour permettre à Jean Charest d'arriver avec un Conseil des ministres remanié à la session d'automne.

 

Elle a rencontré Jean Charest dimanche; il a tenté, sans trop y croire, de la retenir. La tension des dernières semaines a eu raison de ce plan de match. Elle est partie hier dans les heures suivant l'adoption de son dernier budget, avant même l'étude des crédits de son ministère, en pleine controverse sur la Caisse de dépôt et au coeur d'une partie de bras de fer avec Ottawa.

Jour après jour, Mme Jérôme-Forget semblait de plus en plus écrasée par les controverses qui s'accumulaient autour d'elle. À l'Assemblée nationale, l'opposition péquiste faisait son beurre de ses contradictions. Son engagement en faveur du déficit zéro maintes fois répété en campagne électorale, ses assurances quant à la saine gestion de la Caisse de dépôt et même au respect du processus pour le choix du président. Autant de contradictions, de cafouillages, qui ont amoché, sérieusement, la crédibilité de Mme Jérôme-Forget, qui aurait pu quitter au sommet de sa gloire... l'automne dernier.

La coupe déborde

La coupe a débordé la semaine dernière; la ministre a défendu bec et ongles, en Chambre, la décision de Michael Sabia, le controversé patron de la Caisse de dépôt, de mettre ses options de BCE dans une fiducie sans droit de regard. Malmenée par l'opposition péquiste, Mme Jérôme-Forget a appris deux heures plus tard que M. Sabia avait depuis longtemps décidé de ne pas exercer les options litigieuses. Déjà la semaine précédente, après avoir servi de bouclier humain au président de la Caisse, ce dernier avait fait savoir qu'il allait renoncer à la pension qu'elle venait de défendre.

Il y a quelques jours, à un dîner d'anniversaire chez les Jérôme-Forget, on a cassé passablement de sucre sur le dos de l'ancien patron de BCE. Il faut dire que la ministre n'avait pas eu un mot à dire dans ce choix - l'affaire a été décidée au cabinet de Jean Charest dès janvier, bien avant que la décision soit acheminée aux Finances.

Cette nomination illustre aussi les relations difficiles entre le cabinet du premier ministre Jean Charest et celui des Finances, où on s'accuse mutuellement de mettre du sable dans l'engrenage, de freiner le cheminement des décisions.

Ces tensions ne datent pas d'hier. Il y a plus d'un an, Monique Jérôme-Forget avait donné le mandat à l'ex-ministre Claude Castonguay de réfléchir au financement de la Santé, sur la base d'une augmentation de la taxe de vente, le 1% qu'allait céder Ottawa. À la onzième heure, inquiet du ressac politique, le premier ministre Charest lui a demandé de remettre le dentifrice dans le tube.

Même scénario pour le rapport Montmarquette, qui devait chambarder les politiques de tarifications désuètes du gouvernement - le dernier budget a fait un pas, bien timide, dans cette direction.

Dans son bilan, la ministre des Finances a insisté hier sur la mise en place de l'équité salariale, qui a profité à 400 000 salariées du secteur public et parapublic. Une contribution maintes fois saluée hier par les groupes féministes qui n'ont pas rappelé que Québec avait du même coup fait pleuvoir 2 milliards sous forme de «rétro» à quelque jours des élections de 2007.

Soulagement

Autour de la table du Conseil des ministres, le départ de la dame de fer provoquera un soupir de soulagement. À tort ou à raison, Mme Jérôme-Forget était vue comme une inconditionnelle des partenariats public-privé. Elle insistait pour que, dans tous les projets au-delà de 40 millions, le mode de réalisation soit évalué. Avec son départ, on peut parier que les PPP seront beaucoup moins populaires à Québec. L'échangeur Turcot devrait ainsi retomber dans les projets «conventionnels», au soulagement des fonctionnaires des Transports.

Souvent gaffeuse, Mme Jérôme-Forget était beaucoup moins sûre de ses moyens qu'elle ne le laissait paraître. En privé, elle était la plus joviale des politiciennes à Québec. Mais ses sorties ironiques sur sa «sacoche» et le «syndrome de la pépine» masquaient l'insécurité d'une politicienne qui se savait sujette aux faux pas. La semaine dernière s'était terminée dans un vaudeville pitoyable: après un débat musclé avec Sylvain Simard sur les PPP, elle avait tenté de quitter le parlement en douce pour éviter les journalistes.