Depuis l'été 2008, le projet du CHUM s'appuyait sur des prévisions financières carrément irréalistes. Conséquence d'une gestion défaillante, le gouvernement Charest a modifié l'ampleur du projet sans ajuster les budgets prévus, une opération réalisée seulement cette semaine.

Sourire en coin, le vérificateur général du Québec, Renaud Lachance, parle de «belle coïncidence» entre le dépôt de son rapport et la décision du gouvernement d'ajuster lundi dernier ses chiffres quant au coût de l'hôpital universitaire francophone.

 

En deux ans, le CHUM a vu ses coûts grimper de 81%, une augmentation de 1,1 milliard de dollars pour atteindre 2,5 milliards. Le CUSM, associé à l'Université McGill, a augmenté lui de 50% sur la même période, soit 743 millions de plus pour un total de 2,2 milliards. Quant au projet Sainte-Justine, le vérificateur établit l'augmentation des coûts à 42%, pour un projet qui atteindra 500 millions. Pour les trois projets, on est ainsi passé en deux ans de 3,2 à 5,2 milliards. Il a fallu ajouter 572 millions pour l'inflation à cause des retards, 556 millions pour les changements apportés aux plans, et 900 millions pour ajuster des estimations mal faites.

Et encore là, «des changements aux estimations de coûts sont encore à prévoir puisque des réévaluations sont attendues», résume le rapport. Pour l'hôpital anglophone et Sainte-Justine, les projets ne sont pas terminés, le sort d'un département de neurologie et un centre de recherche sont encore en suspens, et on devra, plus tard, tenir compte de ces coûts. Au surplus, prédit le vérificateur, il demeure bien des incertitudes quant aux sources de financement - le CHUM, par exemple, s'appuie sur 200 millions d'argent privé versé à une fondation, une enveloppe «qui pourrait ne pas être obtenue en totalité».

Recommandation repoussée

Mais le gouvernement Charest a repoussé hier d'un revers de main la principale recommandation du vérificateur concernant ces projets, une «réévaluation de la pertinence de la structure de gouvernance, en tenant compte des expériences vécues au cours des deux dernières années».

En point de presse, M. Lachance a expliqué que ces projets coûteux relèvent chacun de deux patrons distincts. Les coûts et les échéanciers relèvent du directeur exécutif, le contenu clinique des hôpitaux relève des directeurs généraux des hôpitaux. «Selon les saines pratiques de gestion, normalement, il y a un boss qui contrôle les trois dimensions. Ici on décide de les séparer» explique M. Lachance.

En décembre 2006 déjà, un premier rapport du Vérificateur avait souligné les dangers de cette structure, rappelle-t-il. Au surplus, pour le CHUM et le CUSM, il faut ajouter l'Agence des PPP. «Il y a plusieurs joueurs, c'est une structure inhabituelle pour gérer les risques» résume M. Lachance.

Hier, le gouvernement Charest s'est plutôt dit pleinement satisfait de la gouvernance actuelle des projets. Il s'est contenté de souligner qu'il était «satisfait du fonctionnement de la structure de gouvernance». Il approuve toutefois le vérificateur quand ce dernier constate qu'il faudrait mieux arrimer les travaux à réaliser, les coûts et les échéanciers du projet.

«Même s'il y avait un seul patron, il aurait deux adjoints, a soutenu le ministre de la Santé, Yves Bolduc, satisfait des «communications constantes» entre tous les intervenants dans ce projet.

Québec avait déjà prévenu que les budgets devraient être revus à la hausse. L'automne dernier, rappelle M. Bolduc, on avait déjà indiqué que la démolition-reconstruction de Saint-Luc ferait grimper la facture de 200 millions.

Devant le constat du Vérificateur, dévoilé hier mais transmis il y a deux semaines au gouvernement, on comprend les raisons de la conférence de presse organisée par les stratèges de Jean Charest lundi dernier. Bien des chiffres embarrassants établis par le rapport ont été divulgués et atténués dès ce moment par le ministre de la Santé et le premier ministre Jean Charest.

Le PQ demande des comptes

Le constat du Vérificateur a apporté de l'eau au moulin du Parti québécois qui, depuis plusieurs jours, a attaché le grelot aux incertitudes qui planent toujours au-dessus du projet.

Le critique péquiste des finances publiques, Sylvain Simard, a exigé des comptes du gouvernement devant un constat du rapport: les coûts établis jusqu'ici par Québec ne peuvent être considérés comme définitifs. Sa question au premier ministre Charest a ricoché vers le ministre de la Santé, Yves Bolduc, qui a souligné que le coût exact du projet sera connu seulement après l'ouverture des enveloppes des deux soumissionnaires, dans un an. M. Simard, ironique, a noté qu'il faut se rappeler que Québec avait toujours «vendu» le choix des PPP en expliquant que ce processus offrait l'avantage de faire connaître, avant le début des travaux, les coûts précis du chantier. Aussi, insistera-t-il plus tard en conférence de presse, tous les coûts mentionnés par Québec jusqu'ici ne portent que sur les constructions, sans tenir compte des budgets d'opération.

Selon le péquiste Bernard Drainville, les prévisions de financement de Québec appuyées sur la fondation du CHUM sont bien optimistes. En quatre ans, seulement 24 millions sur les 200 millions prévus ont été amassés, a constaté le député de Marie-Victorin, citant La Presse. «À ce rythme, on aura les 200 millions en 2037!», a-t-il lancé.

Le ministre Bolduc répliqué qu'avec le lancement du projet, lundi dernier, bien des gens qui étaient sceptiques sur la réalisation du CHUM ont été convaincus. Une fois le chantier amorcé, les contributions seront au rendez-vous, selon lui.