Le gouvernement Charest envisage une nomination étonnante au poste de grand patron de la Caisse de dépôt et placement du Québec. L'ancien chef de la direction de BCE, Michael Sabia, serait très sérieusement considéré pour succéder à Henri-Paul Rousseau et Richard Guay à la barre de la caisse, a appris La Presse.

Cette préférence de la part du gouvernement est, selon nos sources, tout à fait inattendue et suscite déjà des grincements de dents au plus haut niveau au Parti libéral du Québec.

Le comité de sélection du conseil de la Caisse a commencé à siéger lundi après-midi en groupe restreint. Le nouveau président du conseil, Robert Tessier, n'y a retenu que les membres assurés de voir leur mandat renouvelé par le gouvernement. M. Tessier a déjà indiqué publiquement que le choix d'un nouveau PDG ne traînerait pas : on parlait alors de semaines et non de mois.

Interrogée par La Presse hier, la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, a éludé la question et s'est contentée de dire que «bien des noms circulent». Toutefois, elle n'a pas nié que l'ancien patron de BCE soit sérieusement en lice.

Un pari risqué

Selon plusieurs des sources consultées par La Presse, le choix de Michael Sabia est un pari risqué. Plusieurs voient en lui un homme d'une grande intelligence. Mais dans les milieux financiers à Montréal, on retient surtout de lui le marché qui aurait dû faire passer BCE au Fonds des enseignants ontariens Teachers', une transaction qui a finalement avorté, mais qui aurait drainé une part de l'activité de Montréal vers l'Ontario.

Curieusement, ce manque de «sensibilité québécoise» est précisément ce qui, aux yeux de Québec, disqualifierait Luc Bertrand, ancien patron de la Bourse de Montréal. Bertrand a appuyé la transaction qui a fait passer ce qui restait de l'institution montréalaise à Toronto.

Aussi, l'arrivée de Michael Sabia «serait tout un choc culturel à la Caisse» car il a peu de racines dans le «Québec inc.», résume sous le couvert de l'anonymat un membre en vue de la communauté d'affaires de Montréal, qui y verrait davantage un francophone spécialisé dans l'investissement comme Jacques Daoust, actuellement à Investissement Québec.

On s'interroge aussi sur le problème d'image que causerait l'arrivée de Sabia, ontarien anglophone, dans le siège du conducteur de l'économie québécoise. Plusieurs personnes craignent enfin que la qualité de son français ne soit pas à la hauteur.

Selon des sources sûres, le projet d'amener Sabia à la Caisse a déjà suscité des commentaires amers de libéraux influents de Montréal, envoyés aux élus susceptibles d'influencer la décision finale. Hier, la ministre Jérôme-Forget lançait à la blague avoir reçu «32 courriels» de gens qui avaient des opinions sur qui devrait diriger la CDP.

Depuis un moment, dans les milieux libéraux, on prévenait toutefois que le prochain patron de la CDP ne «viendrait pas du gouvernement».

En clair, Québec n'allait pas retenir les candidatures d'actuels mandarins : Pierre Shedleur, président de la SGF ou Jean Houde, sous-ministre aux Finances. Jacques Daoust fait toujours partie de la courte liste des candidats, a-t-on appris.

Parcours

Personnalité flamboyante, gestionnaire hors norme, Michael Sabia est né à Ste-Catharines en Ontario, en 1953. Diplômé de Yales, il est marié à la fille de Lester B. Pearson, ancien premier ministre canadien et Prix Nobel.

Michael Sabia est arrivé à Bell Canada en 1999. L'année suivante, il devenait vice-président à la direction de BCE. Auparavant, il avait été longtemps associé à Paul Tellier, ancien greffier du conseil privé sous Brian Mulroney. M. Tellier était à la barre du CN et a amené avec lui Sabia comme vice-président au développement de l'entreprise en 1993, au moment où les conservateurs perdaient le pouvoir à Ottawa.

Dans des rôles moins publics, Michael Sabia a eu une grande influence. Il était notamment dans le siège du conducteur comme directeur général des politiques fiscales au ministère fédéral des Finances, quand Ottawa a mis en place la taxe sur les produits et services, au début des années 90.

Cette énorme opération visait à remplacer une taxe cachée, de 13%, alors imposée aux manufacturiers. On l'a retrouvé par la suite sous-ministre adjoint au Conseil privé à Ottawa, où se trouvait aussi Daniel Gagnier, ancien mandarin fédéral, devenu depuis 18 mois chef de cabinet du premier ministre Jean Charest.