La Caisse de dépôt et placement traverse une grave crise de confiance, convient la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget. La Caisse viendra «en temps et lieu» s'expliquer en commission parlementaire comme elle le fait chaque année. Pas question d'une commission spéciale comme le réclame l'opposition péquiste. «Il ne faut pas perdre les pédales, je ne veux pas agir de manière irréfléchie dans ce dossier», a-t-elle martelé hier, à sa sortie de la réunion extraordinaire de deux jours du Conseil des ministres.

«La Caisse viendra justifier ce qu'elle a fait en temps et lieu, elle le fait chaque année, il ne faut pas exagérer ce qui se passe actuellement», a-t-elle soutenu. Au passage, elle rajuste le tir sur son projet de ramener le sous-ministre des Finances au sein du conseil d'administration de la Caisse -le gouvernement Charest avait mis fin à cette même pratique il y a trois ans-, «c'était une hypothèse», nuance-t-elle aujourd'hui.

 

François Bonnardel, de l'ADQ, voit dans ce retour éventuel du sous-ministre parmi les gestionnaires de la Caisse «un geste de panique et un aveu d'échec». Selon lui, ce «retour en arrière qui risque d'avoir des conséquences graves, un premier pas vers le retour à la manière péquiste de gérer la Caisse».

Rousseau pourrait être convoqué

La ministre promet de réfléchir sur l'opportunité de demander à l'ancien président de la Caisse, Henri-Paul Rousseau, de venir expliquer ses décisions. En novembre 2007, en commission parlementaire, M. Rousseau avait invité les députés à le ramener à la barre, une fois terminée la crise des papiers commerciaux adossés à des actifs (la Caisse détenait 13 milliards de dollars de ces créances douteuses, le tiers de ces produits achetés au Canada). «Une bonne explication pourrait venir rassurer les gens», a répondu Monique Jérôme-Forget, relancée sur M. Rousseau.

Elle n'avait pas jusqu'ici commenté les chiffres publiés par La Presse vendredi dernier, soit un rendement négatif de -26% pour la CDP en 2008. Hier, elle semblait justifier de tels résultats en disant que pour «les fonds de retraite aux États-Unis, les pertes sont entre 25 et 30%». RDC Dexia, qui fait ces évaluations au pays, estime que les rendements des caisses canadiennes seront de -16%.

Fortier n'est plus en piste

Par ailleurs, selon la ministre Jérôme-Forget, la lettre reçue par Radio-Canada est «un canular». Elle a repoussé d'un revers de main le fait que cette missive, anonyme, décrive en détail les personnes, les fonctions et leurs remplaçants éventuels, des éléments corroborés hier à La Presse par une source à l'interne. On révèle même des informations privilégiées, par exemple que les cadres forcés de partir auront un an de salaire et le droit de conserver leur auto et leur cellulaire pendant six mois.

C'est le patron de McCarthy Tétrault, à Montréal, Me Marc André Blanchard, qui a signé la mise en demeure enjoignant à Radio-Canada de ne rien diffuser de cette lettre. M. Blanchard, qui était encore l'an passé président du PLQ, a accompagné le premier ministre Charest dans son périple européen la semaine dernière. Il a refusé, hier, de faire tout commentaire.

Selon les informations de La Presse, venues du milieu financier de Montréal, il est désormais bien peu probable que l'ex-ministre conservateur Michael Fortier soit nommé président du conseil d'administration de la Caisse de dépôt en remplacement de Pierre Brunet.

Le gouvernement Charest l'avait pressenti il y a quelques semaines, avait révélé La Presse. Mais, déjà associé principal chez Ogilvy Renaud, Me Fortier vient d'accepter d'être le conseiller de la multinationale financière Morgan Stanley pour le Canada, des responsabilités difficilement conciliables avec la présidence du conseil de la CDP, expliquent des sources fiables.

Le gouvernement soupèse désormais d'autres candidats. Le nom de Réal Raymond, ancien patron de la Banque Nationale désormais à la retraite, revient fréquemment. Il connaît bien la ministre Jérôme-Forget, leurs résidences secondaires sont pratiquement voisines dans les Laurentides.

Le PQ veut une commission

Du côté du PQ, le critique aux Finances, François Legault, a soutenu qu'il y avait «urgence d'agir» devant la «crise de confiance» à la caisse.

«L'improvisation n'est pas une stratégie de gestion. Nous croyons que les citoyens ont le droit de poser, par le biais de leurs députés, toutes les questions à Pierre Brunet (président du conseil d'administration de la Caisse) et à Henri-Paul Rousseau (ex-président et chef de la direction)», a soutenu M. Legault dans un point de presse à Montréal.

Selon les données qui ont été divulguées aux médias ces dernières semaines, les pertes du bas de laine des Québécois s'élèvent à 38 milliards. «Compte tenu de la situation économique difficile, les grandes caisses canadiennes ont eu des pertes de 18% en moyenne, alors que la Caisse de dépôt, elle, a eu des pertes de 26,4%. Ça veut donc dire qu'elle a accumulé 12 milliards en mauvaise gestion», a tonné M. Legault.

Pour chacun des 3,5 millions de déposants, ces pertes équivalent à environ 10 000$, selon le député péquiste. «Même amorti sur 10 ans, c'est 1000$ par année. C'est énorme. Énorme! Comment va-t-on faire pour récupérer ça?»

Selon M. Legault, une commission parlementaire aurait notamment pour mandat de faire la lumière sur les pertes et de discuter de la mission de la caisse, qui a été modifiée par le gouvernement Charest en 2004 de façon à donner la priorité au rendement avant tout.

«Il y a beaucoup de questions qui s'ajoutent: pourquoi la Caisse de dépôt a investi 12 milliards dans le papier commercial, pourquoi a-t-elle investi dans des devises étrangères?» demande M. Legault.

M. Legault considère que les députés devraient aussi pouvoir poser des questions sur les conséquences des pertes de la Caisse sur la caisse de stabilisation de la Société de l'assurance automobile du Québec, l'impact de ces mauvais rendements sur les primes des automobilistes, et les cotisations à la Régie des rentes.