Nicolas Sarkozy en remet. Le président français a réservé hier un enterrement de première classe à la politique de «non-ingérence, non-indifférence» qui définit depuis des décennies la position diplomatique de la France vis-à-vis du Québec.

Au cours d'une cérémonie où il a remis l'insigne de commandeur de la Légion d'honneur au premier ministre Jean Charest, Nicolas Sarkozy est revenu sur la controverse qu'il a soulevée l'automne dernier à Québec en plaidant en faveur de l'unité canadienne.«Le Québec, c'est ma famille, et le Canada, ce sont mes amis», a-t-il réitéré hier, au palais de l'Élysée. Le chef d'État français a dit rejeter la «division», le «sectarisme», «l'enfermement sur soi» et la «détestation».

«C'est vrai que la ni ingérence ni indifférence, qui a été la règle pendant des années, honnêtement, ce n'est pas trop mon truc», a-t-il lancé, balayant d'un revers de main la position traditionnelle de la France, la formule du «ni-ni».

«Non pas qu'il faut faire de l'ingérence. Mais je préfère dire aux Québécois: «Vous êtes de ma famille» ou «Je suis de la vôtre», plutôt que de leur dire: «Il n'y a pas d'indifférence»... Dites donc, quel amour!» a-t-il ironisé, sous les applaudissements nourris des invités réunis pour la cérémonie.

«J'ai voulu refonder ça. Ç'a créé beaucoup d'inquiétude ici. On m'a dit: «Tu vas donc toucher un tabou, encore un.» Eh oui. Et quand on est sincère, pourquoi avoir peur de toucher un tabou?» s'est-il demandé.

«Croyez-vous, mes chers amis, que le monde, dans la crise sans précédent qu'il traverse, a besoin de division? À besoin de détestation? Est-ce que pour prouver qu'on aime les autres on a besoin de détester leurs voisins? Quelle étrange idée!»

Selon lui, le «message de la francophonie» en est un «d'union», «d'ouverture» et «de tolérance».

Sans interpeller directement les souverainistes, Nicolas Sarkozy a souligné que «ceux qui ne comprennent pas ça (...) n'ont pas compris les valeurs universelles que nous portons au Québec comme en France, le refus du sectarisme, le refus de la division, le refus de l'enfermement sur soi-même, le refus de définir son identité par opposition féroce à l'autre».

Le chef d'État français dit vouloir faire «plus de choses» avec le Québec. L'entente sur la mobilité de la main-d'oeuvre, signée l'automne dernier, incarne cette volonté selon lui. «Il faut que notre amitié, notre appartenance familiale, ne soit pas une nostalgie, mais soit un avenir. Et que ce ne soit pas seulement des discours, mais des réalités. Pour que les jeunes étudiants puissent voir reconnaître leurs diplômes des deux côtés, dans nos deux pays. C'est ça l'amitié, c'est ça la fraternité, c'est ça l'amitié. Pour vous aimer, je n'ai pas besoin de détester les autres.»

Nicolas Sarkozy a provoqué des éclats de rire en notant que ces longues remarques ne faisaient pas partie de son discours écrit. «J'avais vraiment envie de vous le dire», a-t-il lancé.

Réaction prudente

À la sortie du palais de l'Élysée, Jean Charest a eu une réaction prudente. «Je n'ai pas à faire l'évaluation des discours du président de la République française. Il exprime les sentiments du peuple français. Il exprime aussi des sentiments qui sont les siens. (...) C'est à vous d'interpréter ses paroles», a-t-il répondu aux journalistes.

Selon lui, ce n'est pas la fin définitive de la formule du «ni-ni». «Si jamais il devait y avoir un nouveau référendum, je ne vois pas d'autre politique possible pour la France que la non-ingérence, non-indifférence, mais dans un cadre référendaire. Maintenant, ce que le président Sarkozy exprime, c'est un sentiment qui déborde les circonstances d'un référendum sur l'avenir du Québec.»

Avant de remettre l'insigne de commandeur de la Légion d'honneur à Jean Charest, le président français lui a rendu hommage. «Plus que quiconque, tu incarnes dans ton humanité, dans ton énergie, dans ta simplicité, dans ton humour, dans ton sens de la famille, ce qui séduit tant les Français chez les Québécois», a-t-il affirmé, rappelant ensuite le parcours politique du premier ministre du Québec.

«Je reçois cet honneur comme un témoignage de l'amitié éternelle qui unit la France et le Québec, a répondu Jean Charest quelques minutes plus tard. Je le reçois comme la reconnaissance de la contribution de mon gouvernement à cette relation séculaire qui unit nos peuples.»

À la sortie de l'Élysée, le premier ministre s'est dit «profondément touché». En plus des membres de la famille de M. Charest -son père était absent en raison de son état de santé-, plusieurs invités étaient présents à la cérémonie: le premier ministre français François Fillon, son prédécesseur Jean-Pierre Raffarin, le secrétaire général de la francophonie Abdou Diouf, le maire de Québec Régis Labeaume, Paul Desmarais de Power Corporation, Jacques Ménard de BMO Groupe financier, Luc Plamondon, Garou et Carole Laure.

Plus tôt dans la journée, Jean Charest s'est entretenu avec le maire de Paris, Bertrand Delanoë, qui a réitéré son appui au projet de partenariat économique entre le Canada et l'Union européenne.