Ce n'est pas tous les jours que le président de l'Assemblée nationale du Québec comparaît devant la justice. C'est pourtant ce que fera Yvon Vallières au palais de justice de Québec, devant un juge de la Cour supérieure, à propos d'une décision controversée qu'il a prise en 1993 alors qu'il était ministre de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation (MAPAQ).

Ce qu'on a appelé «l'affaire Dubreuil» a débuté en 1992, quand le courtier en poissons Jacques Dubreuil a voulu rouvrir une usine de transformation de poissons à Tourelle, en Gaspésie. Comme la pêche à la morue était en perte de vitesse et que des quotas allaient être imposés, M. Dubreuil voulait créer de l'emploi dans une région qui en avait bien besoin en la faisant profiter de son expertise sur les marchés internationaux.

 

Mais en 1993, le titulaire du portefeuille du MAPAQ, Yvon Vallières, a refusé de lui délivrer un permis. Le ministre ne voulait pas que la nouvelle usine ne traite que du poisson venu de l'extérieur. Par contre, il était d'accord pour que des approvisionnements extérieurs servent d'appoint à des usines déjà existantes.

Pourtant, en même temps, M. Vallières déclare à l'Assemblée nationale que le gouvernement libéral pourrait aider des industriels du secteur des pêches en garantissant des prêts pour l'achat de matière première en provenance notamment de l'Alaska et de la Russie. Il insistait pour dire que près d'un millier de travailleurs québécois de cette industrie pourraient perdre leur emploi.

«C'était à n'y rien comprendre, dit aujourd'hui Jacques Dubreuil à La Presse. On était en train de fermer les pêches. J'avais des stocks, du financement, et je n'ai même pas pu ouvrir l'usine.»

Jacques Dubreuil a décidé de se battre pour son projet, auquel il croyait dur comme fer, et pour l'emploi des Gaspésiens. Il a contesté la décision du ministre Vallières devant les tribunaux. Il a d'ailleurs par la suite gagné six fois en cour dans ce dossier, notamment en septembre 1998, quand la Cour d'appel a jugé que le gouvernement n'était pas dans son droit lorsqu'il a refusé de lui délivrer un permis, ce qui confirmait un précédent jugement de la Cour supérieure.

Le protecteur du citoyen de l'époque, Me Daniel Jacoby, lui avait aussi donné raison et qualifié de «résistance inacceptable» l'attitude du gouvernement. Il avait déclaré que l'ex-ministre Vallières avait «manqué d'éthique» dans ce dossier quand il avait encouragé un autre promoteur à exploiter une autre usine de transformation au même endroit et lui avait accordé un permis. Depuis quelques années, l'usine est fermée.

«Il n'est pas illégal qu'un ministre aille voir un autre demandeur de permis et l'encourage, avait dit Me Jacoby à La Presse. Ce n'est pas une question de légalité, mais une question d'éthique. Ça ne se fait pas. Et le gouvernement et ses fonctionnaires sont assujettis à des règles d'éthique comme n'importe quelle personne qui joue un rôle dans la société.»

«Le pire, c'est que le ministre avait donné sa parole à un juge qu'il n'accorderait pas de permis tant que ma cause serait pendante devant les tribunaux, ajoute M. Dubreuil. Pourtant, il a encouragé une tierce personne et lui a donné un permis alors qu'il savait qu'il ne pouvait pas le faire.»

Les députés péquistes Jean Garon, Camille Laurin et Mathias Rioux et le chef de l'ADQ, Mario Dumont, ont tour à tour soutenu M. Dubreuil dans sa cause mais les gouvernements de Lucien Bouchard, Bernard Landry et Jean Charest n'ont pas résolu son dossier à sa satisfaction. Aujourd'hui, il réclame 24 millions en dédommagements au gouvernement provincial.

Au bureau du président de l'Assemblée nationale, Diane Boivin a confirmé qu'Yvon Vallières «a été assigné comme témoin dans la cause de Courtiers JD&Associés». «Il a l'intention de comparaître dans cette cause-là», a dit Mme Boivin.