Devant la «dégradation accélérée de l'économie mondiale», le premier ministre Jean Charest dévoilera de nouvelles mesures afin de soutenir l'emploi dans le budget attendu en mars, quitte à plonger le Québec en déficit.

«On ne peut pas fermer la porte à un déficit tellement la dégradation de l'économie aura été rapide, seulement au cours des derniers mois», a expliqué M. Charest hier, en marge du Forum économique mondial, à Davos, dans les Alpes suisses.

En campagne électorale, il y a deux mois, le chef libéral avait pourtant promis de ne faire aucun déficit au cours d'un prochain mandat. Mais les prévisions économiques ont changé depuis, a-t-il souligné.

«Si on doit aller en déficit, on le fera parce qu'on veut maintenir l'emploi et s'assurer que les gens sont soutenus dans une période de ralentissement économique. On est prêt à mettre de l'avant d'autres mesures pour faire face à la dégradation accélérée de l'économie mondiale.»

Dans son énoncé économique de la mi-janvier, la ministre des Finances, Monique Jérôme-Forget, a déjà annoncé des mesures pour stimuler l'économie, concrétisant ainsi des promesses électorales de son parti. Mais le gouvernement devra en faire davantage, a indiqué Jean Charest. «Dans le budget, ce sera l'occasion de mettre à jour nos mesures, et il faudra comme tous les autres gouvernements s'ajuster au fur et à mesure des événements.»

Le premier ministre a cherché à ne pas trop gonfler les attentes. Les Québécois n'assisteront pas à un feu d'artifice de mesures lors de la présentation du budget, a-t-il prévenu. «Ne perdons pas de vue que l'essentiel qu'on avait à faire a été fait. 72 milliards de dollars d'investissements dans l'énergie et les infrastructures sur 10 ans, c'est beaucoup d'argent. C'est un plan grâce auquel on est en avance par rapport aux autres gouvernements.»

Des centaines de millions d'investissements?

Au cours de son point de presse, Jean Charest a fait miroiter des «centaines de millions de dollars» de nouveaux investissements au Québec grâce au projet, non confirmé encore, d'une entreprise spécialisée dans les technologies vertes.

Le premier ministre a rencontré à Davos le patron de cette entreprise qu'il a refusé d'identifier. Québec a de bonnes chances de décrocher ce projet d'investissements, mais deux concurrents lui font la lutte. «On pense que ça penche vers le Québec. C'est encourageant», a dit M. Charest, précisant que son gouvernement «travaille sur le dossier depuis plusieurs mois». L'entreprise a confirmé au premier ministre qu'elle a accès au financement nécessaire pour réaliser le projet malgré la crise actuelle.

Le Québec est «à l'offensive» à Davos, a indiqué M. Charest. En entrevue à La Presse la semaine dernière, le ministre du Développement économique, Raymond Bachand, affirmait pourtant que la stratégie du gouvernement pour le Forum de Davos est plus «défensive». Celle-ci vise à convaincre des patrons de multinationales d'épargner leurs filiales québécoises et de renoncer à d'éventuelles mises à pied, expliquait-il. Le premier ministre a assuré hier que des occasions d'affaires se présentent cette année encore à Davos.

Jean Charest a également assisté à un atelier portant sur la gouvernance économique de l'Europe, où l'un des conférenciers était le président de la Commission européenne, José Manuel Barroso. Mais le projet de libre-échange entre le Canada et l'Union européenne, cher à M. Charest, n'a pas été abordé. «Ils n'étaient pas là-dedans aujourd'hui», a indiqué le premier ministre, qui entend faire la promotion du projet tout au long de sa mission en Europe. Il doit rencontrer M. Barroso au cours des prochains jours.

Au Forum économique mondial, plusieurs décideurs économiques et politiques ont plaidé hier pour une réglementation plus sévère afin d'encadrer les marchés financiers. Selon l'ancien premier ministre britannique Tony Blair, il faut s'interroger sur les valeurs éthiques et morales du capitalisme. Le système économique doit être «au service de la société» et plus «juste», ne pas être obsédé continuellement par la maximisation du profit, a-t-il dit. La présidente de PepsiCo, Indra Nooyi, reconnaît qu'il faut un «retour du balancier».

Mais personne ne souhaite remettre en question le système capitaliste. «Ce n'est pas le principe de la libre entreprise dans son ensemble qui a échoué, c'est le système financier», a dit M. Blair.

Au cours du même atelier, le patron du groupe bancaire britannique HSBC, Stephen Green, a reconnu que de nouvelles règles devaient encadrer le système financier. Au fil des ans, «nous sommes passés à une culture où on se dit: s'il y a une transaction à faire, qu'il y a un marché et que c'est légal, on y va, sans se poser de questions sur le bien et le mal, a-t-il dit. Nous devons faire des profits, nous sommes des entreprises pas des organismes de charité ou des ONG, mais nous avons aussi une responsabilité sociale.»

Tony Blair a provoqué l'hilarité dans la salle en affirmant que M. Green est «l'un des rares banquiers qui a accepté de sortir et de venir à Davos» cette année. D'habitude nombreux à Davos, les banquiers, tenus responsables en bonne partie de la débâcle, ont décidé de rester à la maison.

L'humeur n'est pas à la fête

Avec la crise économique actuelle, l'humeur n'est pas tellement à la fête à Davos. Des événements mondains, qui se tiennent traditionnellement en marge du Forum économique mondial, ont été annulés. Même Ottawa a renoncé à faire sa réception somptueuse. L'an dernier, une centaine de représentants du monde des affaires et de la politique - dont Laurent Beaudoin de Bombardier, un habitué de Davos - avaient accepté l'invitation du gouvernement canadien et s'étaient réunis au musée Kirchner. Le ministre des Finances, Jim Flaherty, y était. Il participera au Forum à compter d'aujourd'hui.