L'élaboration des conseils des ministres était une torture pour Robert Bourassa. Il avait toujours évité de renvoyer aux arrière-banquettes un ministre qu'il avait choisi. On dit à Québec que Jean Charest a adopté le style de son prédécesseur. Le Conseil des ministres d'hier en est l'illustration.

En formant le cercle de ses ministres dans le passé, Jean Charest ne s'était pas privé pour remettre à leur place certains collaborateurs. Cela avait donné la sortie dramatique d'un Yves Séguin, qui perdait les Finances. Pire encore, un autre malmené, Thomas Mulcair, avait choisi de rester pour, pendant des semaines, harceler le gouvernement empêtré dans la privatisation du mont Orford.

 

Rien de tout cela n'est arrivé hier. Facile d'éviter l'arrière-banquette quand le nombre des limousines passe de 18 à 26.

Les émissaires de Jean Charest au Salon rouge distillaient tous le même message hier. Le nouveau Conseil des ministres sera obsédé par l'économie. Monique Jérôme-Forget pourra davantage se concentrer sur la crise financière maintenant qu'elle est délestée du Trésor. Pierre Arcand, issu du milieu des affaires, aura le mandat de donner une impulsion plus économique aux Relations internationales. Même Nicole Ménard, ex-femme d'affaires, aura à recentrer le Tourisme sur ses retombées économiques.

Hier M. Charest a souligné que son désir de «stabilité» en cette période de turbulences économiques était aussi le fil conducteur de l'annonce d'hier. Les ministres importants sont pour l'essentiel confirmés à leur poste. Plusieurs sont délestés de certaines responsabilités, il était temps. Quand Michelle Courchesne en est réduite à aller enguirlander un journaliste à la Tribune de la presse, tous conviendront que la fatigue était évidente. La carte professionnelle de Raymond Bachand est aussi rétrécie, Claude Béchard aux Ressources naturelles aura son délégué, Serge Simard, comme Yves Bolduc, se voit adjoindre Lise Thériault pour les services sociaux. Norman MacMillan viendra aider Julie Boulet aux Transports. Tony Tomassi, un député populaire parmi ses pairs, sera ministre en titre à la Famille, il n'aura pas à obtenir l'imprimatur de Mme Courchesne.

Frictions

Avec ce Conseil des ministres, Jean Charest a voulu satisfaire bien du monde. Mais s'est peut-être attiré des problèmes.

Jacques Dupuis rêvait de redevenir leader parlementaire. Il le devient et revient au même instant parmi les cibles préférées de l'opposition. Déjà, Pauline Marois critiquait l'intransigeance de M. Dupuis à ce poste délicat dans le passé. Chez les journalistes on faisait grise mine; Dupuis est bien connu pour son obsession d'éviter les controverses, on s'ennuie déjà de Benoît Pelletier, qui aimait bomber le torse devant Ottawa. Pierre Corbeil, le dentiste d'Abitibi, était tout juste investi au portefeuille des Affaires autochtones que déjà des voix s'élevaient pour protester - ses relations étaient mauvaises avec les Premières Nations lors de son passage aux Ressources naturelles.

Ces frictions potentielles avec l'opposition ou les groupes de pression sont prévisibles. D'autres sont moins visibles, et par conséquent plus dangereuses, surtout qu'elles se trouvent à l'interne.

Quelqu'un s'est-il demandé pourquoi Monique Gagnon-Tremblay tout à coup tenait tant à quitter la sinécure des Relations internationales pour se pointer au Trésor à l'aube de la pire crise budgétaire de la dernière décennie? Elle était dans l'entourage immédiat de Jean Charest bien avant Monique Jérôme-Forget.

Elle songeait à quitter, mais sa circonscription, Saint-François, aurait à coup sûr basculé au PQ. Elle était en bonne position pour exiger ce qu'elle voulait. Depuis cinq ans elle assiste, impassible, à la montée en influence de Monique Jérôme-Forget, qui ne cassait rien aux années de l'opposition. Quelques blagues, toujours les mêmes, sur la «sacoche» ou le «syndrome de la pépine», des lignes de presse soufflées par ses conseillers, la Dame de fer est plus vulnérable qu'elle ne le laisse croire. Hier Mme Jérôme-Forget a dit qu'elle conservait «la sacoche», et qu'elle aurait Mme Gagnon-Tremblay comme «alliée». Avec les problèmes de financement dans le secteur privé, il faut s'attendre à ce que «l'amie», Mme Gagnon-Tremblay, mette bien vite la pédale douce sur les projets en partenariats publics-privés, si chers à Mme Jérôme-Forget.

D'autres pommes de discorde sont prévisibles. Pierre Arcand, néophyte aux Relations internationales, se retrouvera bien vite dans les platebandes de l'exportation avec le virage économique de son ministère. Sous le PQ, Jacques-Yvan Morin et Bernard Landry ont déjà joué dans ce film.

Un autre problème, pour initiés celui-là. Nathalie Normandeau se voit attribuer la responsabilité de «l'Occupation du territoire» la nouvelle étiquette des «Régions». Or le «territoire», c'est justement l'axe d'intervention du ministère de Claude Béchard.

Élus dans plusieurs régions d'où ils avaient été éjectés en 2007, les libéraux se devaient d'assurer que plus de voix régionales se fassent entendre au gouvernement. Curieusement, Québec ne gagne pas un seul poste, mais on en ajoute deux, Robert Dutil et Dominique Vien, en Beauce et à Bellechasse, un des derniers bastions adéquistes. L'Abitibi et le Saguenay ont aussi un représentant, tout comme l'Outaouais, avec le vétéran Norm MacMillan.

Mais on a décidé d'en ajouter beaucoup dans l'île de Montréal, aux dépens de toute logique; les circonscriptions susceptibles de voter libéral dans l'île sont déjà toutes peintes en rouge.

Lise Thériault était la favorite d'un courant du PLQ présent dans l'est de Montréal, incarné par Line Beauchamp, elle est ramenée au cabinet. Kathleen Weil était le choix des anglophones après la mise au rancart de Geof Kelley et de Lawrence Bergman en 2007. Ce dernier, un homme si discret qu'on a peine à l'entendre quand il parle, reste un choix étrange comme président de caucus, mais encore là, il était appuyé par des libéraux influents de l'ère Bourassa.

Avec le nouveau Pierre Arcand dans Mont-Royal, et les ministres Dupuis, Jérôme-Forget, Saint-Pierre, Blais et Beauchamp, Montréal est, à l'évidence, surreprésenté dans le gouvernement d'hier. Pas facile de faire plaisir à tout le monde, tous les prédécesseurs de Jean Charest pourraient en témoigner.