Alors même que les Premières Nations vivent une grave pénurie de logements, le gouvernement canadien a considérablement réduit la construction d'habitations abordables dans les réserves.

En cinq ans à peine, le nombre d'appartements construits a chuté de 90 %, révèle une note de service de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) que La Presse a obtenue en vertu de la Loi sur l'accès à l'information.

L'an dernier, la réserve crie d'Attawapiskat, dans le nord de l'Ontario, avait décrété l'état d'urgence en raison des conditions précaires dans lesquelles plusieurs de ses membres vivaient en plein hiver.

La crise avait plongé le gouvernement fédéral dans l'embarras après qu'un émissaire des Nations unies se fut indigné des «conditions du tiers-monde» dans lesquelles plusieurs communautés autochtones vivent au Canada. Il avait critiqué le «sous-financement systématique» d'Ottawa.

Diminution marquée

Or, loin d'accélérer la cadence, la SCHL rapporte plutôt une diminution marquée du nombre de mises en chantier dans les réserves.

Dans une note de service envoyée le 17 août à la ministre des Ressources humaines, Diane Finley, la société d'État indiquait qu'elle a contribué à la construction de 4393 logements abordables en 2006.

Cinq ans plus tard, à peine 604 unités ont été mises en chantier, et à peine 422 projets étaient prévus cette année.«Le nombre d'unités livrées grâce au Programme de logement sans but lucratif dans les réserves a décliné ces dernières années.

En 2011, environ 600 nouvelles unités ont été livrées grâce au programme. Les projections de la SCHL pour la période de 2012 à 2016 montrent que d'autres baisses sont à prévoir dans le nombre d'unités à construire», précise la note.

Hausse des coûts

Pour expliquer cette chute marquée des mises en chantier, la SCHL montre du doigt la hausse attendue des taux d'intérêt.

«Les bas taux d'intérêt des dernières années avaient permis à la SCHL de hausser ses investissements et ainsi d'augmenter la construction de nouvelles unités. Avec la hausse attendue des taux d'intérêt, la SCHL n'est plus en mesure d'assurer d'aussi importants investissements.»

Autre facteur, la SCHL note une hausse marquée des coûts de la main-d'oeuvre, des matériaux et des transports dans le Grand Nord.

Or, le gouvernement a gelé depuis 1996 à 100 millions l'enveloppe annuelle allouée à la construction de nouveaux logements abordables, dénonce Terry Metatawabin, conseiller en développement des Premières Nations en Alberta.

«C'est très inquiétant parce qu'ils n'augmentent pas les budgets en fonction de l'inflation, alors que ça a un impact direct sur l'efficacité du programme. On se dirige vers un désastre», déplore-t-il.

Réveil des communautés

Terry Metatawabin voit un lien direct entre la crise du logement qui touche plusieurs réserves et le mouvement autochtone Idle No More.

De nombreux autochtones, principalement dans l'Ouest, manifestent depuis des mois contre des changements à la Loi sur les Indiens et à la Loi sur la protection des eaux navigables contenus dans le projet de loi omnibus du gouvernement Harper. «Le point d'ébullition a été dépassé depuis longtemps et les communautés se réveillent», dit Terry Metatawabin.

D'ailleurs, l'une des principales icônes du mouvement Idle No More est justement Theresa Spence, chef de la communauté d'Attawapiskat. Elle a entrepris une grève de la faim le 11 décembre pour sensibiliser le public à la réalité des communautés autochtones.

Installée dans un tipi sur une île de la rivière Ottawa, à quelques centaines de mètres du parlement, elle demande à rencontrer le premier ministre Stephen Harper pour discuter de la situation des Premières Nations.

Selon la note de service obtenue par La Presse, à peine 40 des 422 logements abordables prévus en 2012 sont destinés au Québec, où vit pourtant un cinquième des 1,3 million d'autochtones au pays, selon Statistique Canada.

- Avec William Leclerc