Lundi, quand le reste du Canada fêtera Noël, Theresa Spence aura terminé sa deuxième semaine de grève de la faim. Rencontre avec la nouvelle figure de la résistance autochtone.

«J'ai eu une mauvaise nuit, mais j'ai le moral. Mon état est encore stable.»

Theresa Spence nous reçoit dans son tipi de polyuréthane. Elle est assise avec une amie, sur un grand matelas qui occupe la moitié de l'espace disponible. Un petit poêle à bois trône au milieu de la tente. Accrochées à une corde, des couvertures avec des motifs d'animaux cachent les vilaines bâches en plastique blanc.

C'est ici, dans l'île Victoria, à Ottawa, que la chef crie de la réserve d'Attawapiskat (nord de l'Ontario) a entamé une grève de la faim, il y a 15 jours.

L'endroit n'a pas été choisi au hasard. Ce petit bout de terre, qui appartient officiellement aux Algonquins, est situé pratiquement en face du parlement canadien. Le contraste avec l'abri de fortune de Mme Spence n'en est que plus frappant. C'est le petit devant le gros. David contre Goliath. Le négligé contre l'institution.

Mme Spence, 49 ans, en a ras le bol des politiques anti-autochtones de Stephen Harper. Le projet de loi C-45, présenté en douce au début du mois de décembre, a été pour elle, comme pour d'autres personnes de son peuple, la goutte qui a fait déborder le vase.

Ce projet de loi omnibus apporterait notamment des changements importants à la Loi sur les Indiens et sur les eaux navigables. Les autochtones craignent que cela modifie les règlements sur l'élection des conseils de bande, sur la vente des territoires protégés, de même que sur les écoles des réserves, qui passeraient sous juridiction provinciale.

Pour les Premières Nations du Canada, cela équivaut à un immense pas en arrière. C'est pourquoi Mme Spence a décidé d'aller jusqu'au bout. Depuis le 11 décembre, elle ne mange plus: elle se contente d'un peu de bouillon de poisson et de quelques infusions de plantes médicinales. Elle n'arrêtera sa grève que si Stephen Harper accepte de rencontrer tous les chefs autochtones du Canada.

«Ce n'est pas avec moi qu'il doit dialoguer, mais avec nous tous», dit-elle.

Un symbole

Mme Spence ne correspond pas à l'image qu'on se fait d'un gréviste de la faim. Avec ses lunettes de prof et ses cheveux courts, elle ressemble davantage à une bonne maman qu'au Mahatma Gandhi ou à Bobby Sands, le révolutionnaire irlandais dont parle le film Hunger. La dame est calme, sereine. Et elle n'a pas perdu son sens de l'humour.

Mais quand il s'agit de parler des vrais enjeux, elle ne mâche pas ses mots.

Lorsqu'on lui demande pourquoi elle a refusé de rencontrer John Duncan, ministre des Affaires indiennes, qui s'est plaint publiquement qu'elle ne l'avait pas rappelé, sa réponse siffle comme une flèche.

«On l'a déjà rencontré tellement de fois, lance Mme Spence. De toute façon, il n'est pas capable de penser par lui-même. C'est un politicien programmé.»

Rappelons que Mme Spence et M. Duncan se sont abondamment côtoyés il y a un an, lors de la crise humanitaire à Attawapiskat. Theresa Spence avait décrété l'état d'urgence et fait venir la Croix-Rouge dans la réserve. Mis dans l'embarras, le gouvernement Harper avait tenté de la faire remplacer. On l'avait notamment accusée de gestion douteuse.

Peine perdue. Un an plus tard, Mme Spence incarne plus que jamais la perte de confiance des Premières Nations envers le gouvernement fédéral. Dans la foulée du mouvement «Idle no More», qui rallie depuis un mois les autochtones du pays et qui a culminé vendredi à Ottawa, son combat est devenu un symbole et une source d'inspiration.

Lors de notre visite, plusieurs personnes attendaient à l'extérieur de son tipi pour la rencontrer. Un jeune Blackfoot de l'Alberta faisait sécher ses mocassins détrempés au bord du feu. Il avait parcouru 3000 km en stop pour lui rendre hommage. D'autres venaient du Québec, de l'Ontario et du Manitoba avec leurs tambours, leur sauge et leurs pipes sacrées.

«Ils me motivent», a lancé Mme Spence.

Pour l'instant, la chef crie est encore assez forte pour recevoir des invités. Elle ne prend qu'une demi-journée de repos par semaine, et sa garde rapprochée filtre les visites.

Mais que se passera-t-il si son état de santé s'aggrave? Pour son bras droit, Danny Metatawabin, la réponse est claire: «C'est au premier ministre qu'il faut demander ça».