Le Québec peut tenir une consultation publique sur le projet d'inversion du flux du pipeline de la société Enbridge entre l'Ontario et Montréal, convient le ministre fédéral des Ressources naturelles, Joe Oliver, mais Ottawa ne sera pas lié par les résultats d'un tel exercice.

Dans une entrevue accordée à La Presse, hier, M. Oliver a affirmé que le gouvernement fédéral a la responsabilité constitutionnelle d'évaluer les projets de nature interprovinciale par l'entremise de l'Office national de l'énergie (ONE).

«Cela relève de la compétence du gouvernement fédéral», a indiqué le ministre, qui s'est dit «enthousiaste» à l'idée que le pétrole issu des sables bitumineux de l'Alberta puisse être acheminé un jour vers l'est du pays, notamment au Québec.

Interrogé à savoir si Ottawa se sentirait dans l'obligation de se plier aux conclusions d'une consultation provinciale telle qu'évoquée par Québec cette semaine, le ministre a longuement hésité avant de dire: «C'est une question hypothétique.»

Sans se prononcer sur le bien-fondé du projet d'Enbridge, qui doit faire l'objet d'une évaluation de l'ONE, M. Oliver a affirmé que les provinces de l'Est retireraient de nombreux avantages en ayant accès au pétrole albertain.

D'abord, dit-il, cela permettrait de créer des emplois liés au raffinage de ce pétrole. Ensuite, le pétrole albertain est moins cher que le brut qu'importe le Québec de pays comme l'Algérie ou le Nigeria.

«Je suis très enthousiaste à l'idée de transporter le pétrole de l'ouest vers l'est, parce que ça va créer des avantages pour le Québec et pour l'Atlantique», a-t-il lancé.

«Si l'on peut créer plus d'emplois en utilisant les raffineries au Québec [...] et au Nouveau-Brunswick, cela va créer des avantages économiques directs pour la population locale et cela va augmenter le soutien de la population régionale», a-t-il avancé.

M. Oliver a tenu à souligner que les pipelines demeurent le moyen de transport le plus sécuritaire du pétrole. «C'est sécuritaire à 99,9996%», a-t-il fait valoir.

La compétence de l'ONE

Mercredi, le gouvernement Marois a indiqué qu'il souhaite que Québec tienne ses propres consultations publiques avant que l'industrie pétrolière albertaine ne puisse y acheminer du pétrole issu des sables bitumineux.

En Ontario, par où passe également le pipeline d'Enbridge, une source a indiqué que la province s'en remettait au gouvernement fédéral pour mener les études qui s'imposent. «L'évaluation du projet de la ligne 9 d'Enbridge tombe sous la compétence de l'ONE et ne nécessite donc pas d'évaluation environnementale provinciale ou de consultation», a indiqué Lyndsay Miller, porte-parole du ministre ontarien de l'Environnement, Jim Bradley.

Par ailleurs, selon des informations obtenues par La Presse, des fonctionnaires du ministère des Affaires intergouvernementales de l'Alberta se sont entretenus hier avec leurs homologues québécois pour éviter tout malentendu sur ce projet.

«Nous avons vu plusieurs reportages dans les derniers jours. Je comprends que le ministre de l'Environnement du Québec a clarifié sa position. Et il a confirmé qu'ils ne cherchent pas à créer de conflits et qu'ils entendent travailler étroitement avec l'Alberta», a indiqué Mark Cooper, porte-parole du ministère des Relations internationales et intergouvernementales.

«Nous comprenons que le Québec veut seulement s'assurer, comme le ferait l'Alberta, qu'il aura un rôle à jouer dans l'évaluation de toute nouvelle infrastructure d'énergie qui passera par son territoire», a-t-il ajouté.

Évaluation environnementale mixte?

Le vice-président du conseil d'administration du Centre québécois du droit de l'environnement, Jean Baril, a confirmé que l'évaluation environnementale d'un projet de pipeline interprovincial comme celui d'Enbridge relève en principe du fédéral.

Par contre, a précisé l'avocat, le ministre québécois de l'Environnement pourrait demander à un enquêteur spécial ou au BAPE de tenir des consultations publiques sur la question, en vertu de l'article 6.3 de la Loi sur la qualité de l'environnement. C'est ce qui s'est produit dans le dossier du gaz de schiste. «C'est probablement ce qu'il va faire», croit Me Baril.

À noter que ces dernières consultations n'accorderaient pas pour autant de droit de veto au Québec sur le projet: «C'est un mandat d'enquête. Mais c'est sûr qu'en vertu des pouvoirs constitutionnels, ce n'est pas lui qui va décider si la compagnie inverse ou n'inverse pas [le flux du pipeline]. Par contre, politiquement, ça peut lui donner des munitions.»

À cet égard, les environnementalistes pressent déjà le gouvernement Marois d'exiger la tenue d'une évaluation environnementale conjointe avec les autorités fédérales sur cette question. De cette manière, le gouvernement du Québec «ne viendra pas simplement témoigner ou faire des représentations comme témoin intéressé. Il va participer à l'élaboration des différents documents fournis et à la rédaction finale du rapport», estime le porte-parole de Greenpeace, Patrick Bonin.