Un événement rarissime se déroulera à la Cour suprême, demain. Les juges interrompront leur relâche estivale pour entendre une cause. Cette situation ne s'est pas produite depuis les années 80, lorsque le plus haut tribunal du pays avait statué sur l'avortement dans l'affaire Chantal Daigle. Cette fois, la Cour doit se prononcer sur une élection hautement contestée dans la circonscription torontoise d'Etobicoke-Centre, qu'un tribunal ontarien a annulée.

La Cour suprême, si elle confirme cette décision, pourrait provoquer une cascade de contestations judiciaires aux élections futures. C'est ce qu'avance le député conservateur de la circonscription torontoise d'Etobicoke-Centre, Ted Opitz, qui risque d'être démis de ses fonctions.

Dans un mémoire produit à la Cour suprême la semaine dernière, les avocats de M. Opitz soutiennent que la Cour supérieure de l'Ontario a fait erreur en annulant son élection. Si cette décision est maintenue, disent-ils, la Cour suprême privera de leur suffrage la totalité des électeurs qui ont voté.

«La question fondamentale soulevée par cet appel est de savoir si des erreurs de consignation faites par une ou plusieurs des quelque 180 000 personnes embauchées par Élections Canada pour travailler dans les bureaux de scrutins pour une journée pendant les élections fédérales devraient priver les électeurs de leur droit constitutionnel de vote, écrivent-ils. Permettre à des élections fédérales d'être contestées sur cette base invitera une judiciarisation, et imposera un fardeau intolérable sur les tribunaux de ce pays.»

M. Opitz a remporté le siège d'Etobicoke-Centre par 26 votes le 2 mai 2011. Le candidat libéral défait, Boris Wrzesnewskyj, a convaincu le tribunal de première instance d'annuler le résultat, soutenant que des irrégularités avaient contribué à sa défaite.

Pour appuyer sa décision, la cour ontarienne a fait valoir que plusieurs dizaines de personnes ont voté alors que les employés d'Élections Canada ne les avaient pas dûment inscrites dans leurs registres. Cela ne veut pas dire qu'il y a eu fraude ou malversation, a conclu le juge, mais la situation a jeté un doute quant au résultat du scrutin, décidé par une marge très mince.

M. Opitz rétorque que rien ne prouve que les électeurs dont le vote a ainsi été disqualifié contrevenaient aux règlements. Dans une requête de dernière minute produite devant la cour, Élections Canada a d'ailleurs soutenu avoir retrouvé la trace de 44 personnes qui avaient voté sans être inscrites.

M. Wrzesnewskyj, qui a payé lui-même ses frais de justice, a toujours maintenu que l'élection devait être annulée afin de maintenir la confiance des Canadiens à l'égard du système électoral.

Au soutien de sa requête initiale, le candidat libéral défait a produit les déclarations sous serment d'employés d'Élections Canada. Ces travailleurs allèguent que le directeur de campagne de M. Opitz, Roman Gawur, a fait irruption dans un bureau de scrutin situé dans une résidence pour personnes âgées. Il se serait alors mis à crier et à agiter les bras, une scène qui a duré 10 minutes et qui a perturbé le vote.

M. Gawur a contredit ces témoignages, affirmant être resté calme et n'avoir levé la voix que pour se faire entendre dans le bruit ambiant.

Ces témoignages n'ont toutefois pas joué dans le jugement de la Cour supérieure de l'Ontario.

Si la Cour suprême maintient la décision initiale, le premier ministre Stephen Harper devra déclencher une élection partielle dans Etobicoke-Centre. Si tel est le cas, la circonscription torontoise risque de basculer dans le camp libéral: un sondage paru fin mai dans le National Post donnait à M. Wrzesnewskyj une avance de 10 points sur M. Opitz.