Un autre conflit Québec et Ottawa semble poindre à l'horizon, cette fois sur une histoire de gros sous: les normes bancaires.

Les conservateurs de Stephen Harper entendent en effet modifier la Loi sur les banques afin d'y ajouter un préambule annonçant qu'il est dans l'intérêt national que le fédéral ait des normes «exclusives applicables aux produits et services bancaires».

La démarche a fait sursauter le gouvernement de Jean Charest, qui soutient que les deux paliers de gouvernement ont des «responsabilités complémentaires» dans ce domaine.

Il faut fouiller jusqu'à la page 338 du projet de loi de mise en oeuvre du budget fédéral - une brique de plus de 400 pages déposée la semaine dernière et qui sera étudiée à toute vapeur - pour trouver le préambule en question. Le ministre des Finances, Jim Flaherty, avait cependant déjà annoncé son intention de modifier la loi lorsqu'il a déposé son budget à la fin mars.

Le ministre de la Justice du Québec, Jean-Marc Fournier, a expédié une lettre à M. Flaherty afin de lui faire part de ses préoccupations. Selon lui, il serait «inacceptable» que l'objectif du fédéral soit de priver Québec de sa compétence sur les règles de protection du consommateur.

«Cela contreviendrait aux valeurs de respect et de coopération qui devraient être au coeur du fédéralisme canadien», a écrit le ministre Fournier dans une lettre datée du 19 avril.

De son côté, le fédéral ne semble pas vouloir lâcher le morceau.

«Nous avons reçu la lettre et répondrons rapidement», peut-on lire dans un courriel en anglais émanant du bureau de M. Flaherty, en réponse à des questions de La Presse Canadienne.

«Cependant, tel qu'indiqué dans le budget, notre gouvernement est engagé à s'assurer que tous les Canadiens bénéficient des mêmes réglementations fédérales», ajoute-t-on.

Le bloquiste Louis Plamondon, seul député à avoir soulevé la question à Ottawa pour l'instant, se dit «inquiet».

«La philosophie conservatrice prétend respecter les juridictions provinciales, mais c'est un exemple qui est en pleine contradiction avec son discours», a noté le député.

Interrogé en entrevue sur les motivations du gouvernement conservateur avec cette démarche, M. Plamondon a supposé que c'était «par insouciance ou par insensibilité. Ils n'ont pas pensé qu'au Québec, ça pourrait gronder.» Il a soulevé la question en Chambre mercredi, mais Christian Paradis, le lieutenant québécois de Stephen Harper, n'a pas semblé connaître l'existence de la lettre à laquelle M. Plamondon faisait référence.

De nombreux conflits opposent les gouvernements Harper et Charest, le dernier en date portant sur le projet de loi C-7 qui modifie le mandat des sénateurs et pour lequel Québec s'est adressé aux tribunaux.

Qui a juridiction?

Selon la constitution canadienne, c'est le fédéral qui a juridiction sur les banques. Cependant, la loi québécoise légifère sur les «contrats» et contient des dispositions sur les contrats de crédit, directement en lien avec le secteur bancaire.

«Il y a des pans importants des activités bancaires qui relèvent des compétences provinciales et territoriales», a fait valoir Jean Jacques Préaux, de l'Office de la protection du consommateur.

«Et c'est là-dessus qu'on en a. Alors, tant et aussi longtemps qu'il va y avoir ce discours-là, le gouvernement du Québec va se lever et va dire: »je m'excuse, il y a des compétences provinciales et elles doivent être respectées«», a illustré M. Préaux.

Un avocat et professeur spécialisé dans le droit des banques, Michel Deschamps, signale cependant que la question à savoir si la loi de la protection du consommateur s'applique aux banques est actuellement devant les tribunaux. Selon lui, avec l'ajout du préambule à la loi, Ottawa souhaite affirmer que seule la législation fédérale s'applique au secteur bancaire.

«L'intention (du fédéral), c'est d'énoncer comme choix politique que sa législation entend être exhaustive, et ça, c'est un argument qui pourrait permettre aux tribunaux d'écarter la loi provinciale», a-t-il souligné.

Les banques canadiennes sont généralement en faveur d'une réglementation fédérale unique, alors que les règles imposées par les provinces ont tendance à être plus rigides.